Dieu est fidèle

N° 4 - huile, 1962
WILLIAM CONGDON, Pentecôte
Lettre aux amis
L’autre ne sera jamais plus un ennemi, ni un pécheur dont j'aurais à me séparer, mais "quelqu'un qui m'appartient". Avec lui je pourrai me réjouir de la commune miséricorde

Chers amis, hôtes, et vous qui nous suivez de loin,

Le temps pascal, qui s'est achevé par l'effusion des dons de l'Esprit lors de la Pentecôte, permet à notre lien de communion avec vous de se renouveler, notamment à travers ce feuillet de nouvelles, qui cherche précisément à porter à votre attention ce qui nous tient à cœur comme chrétiens dans la compagnie des hommes et dans la succession des saisons.
Plusieurs d'entre vous ont peut-être déjà l'occasion de suivre dans les quotidiens italiens, lors d'émissions radiophoniques et sur notre site internet, les interventions que le prieur fr. Enzo propose avec une certaine régularité pour alimenter un dialogue précieux mais laborieux, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Église. Ce sont des réflexions dont il est naturellement responsable à titre personnel, et qui s'alimentent de l'expérience qui lui vient de son ministère d'écoute de l'autre et de prédication de la Parole, qu'il continue de mener en Italie et à l'étranger. Mais ce sont aussi des réflexions qui mûrissent à l'intérieur de notre communauté, par le partage quotidien de ce qui brûle le cœur de chacun d'entre nous, frères ou sœurs, et de ce qui nourrit nos sentiments communs. Cette lecture communautaire des événements qui concernent la présence et le témoignage de l'Église dans le monde contemporain cherche à se nourrir d'un rapport quotidien avec l'Évangile, mais est aussi profondément débitrice des échanges fraternels avec vous, amis et hôtes, qui nous faites parvenir de diverses manières et de nombreuses Eglises locales – en Italie et à l'étranger – vos espoirs et vos préoccupations, les joies et les souffrances qui traversent vos vies de disciples du Christ et qui contribuent à en édifier le corps dans l'aujourd'hui de l'histoire.



Or nous ne pouvons pas nier qu'au cours des mois passés depuis notre dernière lettre, une sensation de malaise et de souffrance a grandi à l'intérieur de l'Église de Dieu qui est en Italie et dans les rapports entre les chrétiens et la société civile: l'opposition semble avoir pris le dessus sur le dialogue, l'antagonisme figé sur la réflexion partagée, l'affirmation de soi sur l'écoute de l'autre. Les options de fond de nos frères et de nos sœurs en humanités sont toujours plus souvent dépeintes de manière sombre, comme si l'on ne savait reconnaître que « la prévarication et la ruine » et comme si « notre époque, par rapport à celles du passé, été allée vers le pire », pour reprendre une lecture du monde que stigmatisait le pape Jean XXIII lors de l'ouverture du Concile Vatican II. Les interrogations de fond, les problématiques éthiques fondamentales, les exigences identitaires de l'autre sont souvent lues à travers des préjugés idéologiques tels qu'ils rendent ardue (sinon impossible) toute convergence de principe et qu'ils rendent, par conséquent, impraticable la vie civile en commun: on ne se donne en effet pas trop de peine pour saisir la souffrance dont elles naissent, mais on cherche à y démasquer de prétendus buts inavoués, interprétés comme s'ils s'opposaient toujours à la présence et au témoignage de l'Église…



Nous avons entendu, ici à Bose ou dans les différentes réalités ecclésiales locales où nous nous sommes rendus, des préoccupations et des souffrances dues à une sorte de communication impossible, de surdité réciproque qui semble s'être créée entre les croyants et les non-croyants: une rupture du dialogue qui est source de douleur pour beaucoup et qui, chose plus grave encore, trahit les attentes des derniers, des plus pauvres et de ceux qui ont davantage besoin de soin, de compréhension, de compassion, de solidarité humaine et chrétienne. Combien de duretés au nom de « valeurs non négociables », qui font transparaître dans le langage utilisé lui-même une approche « mercantile » des fondements éthiques du bien commun! Certaines prises de position semblent affronter des problèmes complexes en les niant, ou en les réduisant à des « caprices » de personnes viciées, lorsqu'on ne va pas jusqu'à imposer aux autres des fardeaux que l'on ne voudrait pas même toucher d'un doigt! Pourquoi cette disproportion pour juger l'autre à partir de ses manquements et pour s'absoudre soi-même sur la base d'idéaux énoncés mais non mis en pratique? Pourquoi s'acharner à cultiver l'inimitié alors que les mêmes énergies pourraient être dépensées pour comprendre l'autre et dialoguer en vue d'une vie commune pacifiée?



Pourtant, lorsque s'était ouvert le troisième millénaire et que l'épiscopat italien avait offert ses « Orientations pastorales pour la première décennie du millénaire », intitulées Communiquer l'Évangile dans un monde qui change, nombreux avaient été ceux qui s'étaient réjouis d'entendre des paroles au ton sensiblement différent. Il s'agissait d'un document longuement préparé, examiné et discuté attentivement avant d'avoir été approuvé par l'assemblée plénière de la Conférence épiscopale italienne: un texte autorisé donc, et non une déclaration occasionnelle, sujette à des malentendus et à de rapides synthèses journalistiques, un texte appelé à servir de guide et d'orientation pour les écrits et surtout les gestes successifs. Voilà ce qu'écrivaient les évêques italiens: « Touchés par l'amour de Dieu “alors que nous étions encore pécheurs” (Rm 5,8), nous sommes amenés à nous ouvrir à la solidarité pour tous les hommes, au désir de partager avec eux l'amour miséricordieux de Jésus qui nous fait vivre. L'Église est totalement orientée à la communion. Elle est et doit toujours être, comme le rappelait Jean Paul II, “maison et école de communion”. L'Église est la maison, l'édifice, la demeure hospitalière qui se construit à travers l'éducation à une spiritualité de communion.



Cela implique de faire constamment place au frère, en portant “les fardeaux les uns des autres” (Gal 6,2)… L'autre ne sera plus un ennemi, ni un pécheur dont j'aurais à me séparer, mais “quelqu'un qui m'appartient”. Avec lui, je pourrai me réjouir de la miséricorde commune, je pourrai partager les joies et les douleurs, les contradictions et les espoirs. Ensemble nous serons peu à peu pousser à élargir le cercle de ce partage, à nous faire messagers de la joie et de l'espérance que nous avons découverts ensemble dans nos vies grâce au Verbe de vie. Ce n'est que si elle sera véritablement “maison de communion”, rendue ferme par le Seigneur et la Parole de sa grâce qui a le pouvoir d'édifier, que l'Église pourra aussi devenir “école de communion”… Les différences seront alors accueillies et réconciliées, les souffrances trouveront un sens et une consolation définitive; la mort même perdra tout pouvoir face à la communion dans l'amour, face à la participation à la vie trinitaire, qui se sera étendue à tout homme. »



Franchement, nous avons de la peine à retrouver ce langage et davantage encore cette attitude de fond dans les récentes prises de position de nos frères dans la foi: le langage et les comportements nous semblent aller davantage dans le sens de l'opposition plus que dans celui de l communion réconciliée et réconciliatrice. Est-il proprement nécessaire que, en tant que chrétiens et pour manifester nos raisons – qui proviennent de l'Évangile et qui sont toujours au service de l'humanisation –, nous assumions des styles hurlés, typiques des luttes syndicales ou des batailles politiques? Devons-nous vraiment, au nom de l'Évangile, apprendre nous aussi à nous opposer, à placer notre confiance dans le grand nombre? Dans l'Église, ne nous avait-on pas enseigné la nécessité de styles tout différents pour notre témoignage dans l'histoire et en solidarité avec tous les hommes? Oui, les paroles fortes des évêques italiens nous paraissent dans l'ensemble désavouées. Ils écrivaient: « Au cours des prochaines années, nous accomplirons un chemin guidé par une référence constante au Concile Vatican II et à son message. »



Mais malgré cette préoccupation, qui est bien plus qu'une sensation passagère, nous voudrions terminer notre lettre non par un souhait trop général, mais par un message d'espoir, que nous empruntons une nouvelle fois au texte autorisé de la Conférence épiscopale italienne: « Certes, d'aucuns parmi nous, en observant certains phénomènes négatifs, pourraient se laisser aller au pessimisme. Mais l'Église connaît un seul critère pour renouveler jour après jour son espérance: elle sait que “Dieu est fidèle”, lui qui nous a “appelés à la communion de son Fils Jésus Christ, notre Seigneur” (1Co 1,9). » Courage, dans la lumière de Pentecôte nous vous disons: ne craignez pas! Christ a vaincu la mondanité!
Avec affection,
Les frères et les sœurs de Bose

Bose, le 27 mai 2007
Pentecôte