Quanta est nobis via?

Majesté du Christ entre les apôtres, XIIe s.
Majesté du Christ entre les apôtres, XIIe s.
Lettre aux amis n° 55
Avent 2012
Chers amis et hôtes,
en ce temps de l'Avent où nous professons et témoignons par nos pauvres vies l'attente du retour du Seigneur, nous voulons nous interroger

 

Lettre aux amis no. 55
Avent 2012

Chers amis, hôtes et vous qui nous suivez de loin,

dans la lettre de Pentecôte déjà nous avons voulu rappeler le 50e anniversaire de l’ouverture du concile Vatican II, en reprenant les paroles du pape Jean XXIII dans l’allocution Gaudet mater Ecclesia, prononcée le 11 octobre 1962. En ce temps de l’Avent, où nous professons et témoignons par nos pauvres vies l’attente du retour du Seigneur dans la gloire, nous voulons nous interroger avec vous sur ce que nous avons fait de cette “nouvelle Pentecôte”, de ce “saut en avant” souhaité par Jean XXIII, de la “grande grâce” accordée à l’Église le siècle dernier et qui nous a été offerte comme “boussole sûre pour nous orienter sur le chemin du XXIe siècle”, selon les paroles fortes du pape Jean Paul II. Oui, “quanta est nobis via?”, combien de chemin nous reste-t-il à faire dans notre suivance renouvelée du Seigneur, une suivance affermie par Vatican II, mais qui, malgré l’élan reçu du concile, a aussi connu des retards, des incertitudes, des déviations.

Si nous tentons non pas tant un bilan qu’une lecture de ces cinq décennies, nous pouvons dire que ces années ont été celles d’une trépidante attente, qui s’est parfois traduite en une joie face à la confirmation de l’esprit du concile et à la mise en œuvre de ses intentions, parfois aussi en déception, lorsque Vatican II a été négligé et contredit dans ses exigences et ses inspirations… Assurément, si pour bien des aspects on peut affirmer que l’événement de Vatican II est irréversible, et que sont donc irréversibles les chemins entrepris par l’Église par obéissance à cet événement, il faut aussi dire que pour l’heure la possibilité de l’oublier ou de le minimiser est bien réelle, ne serait-ce qu’en recourant à la formule insidieuse “repenser le concile”.


Or, Jean XXIII avait annoncé un concile “pastoral” pour préciser qu’il ne s’agissait pas de condamner des doctrines et des hommes, mais de relire toute la vie de l’Église avec le regard du Seigneur, le bon pasteur. Un concile, donc, caractérisé non par le jugement, comme les conciles précédents, mais plutôt une assemblée caractérisée par la sollicitude et le désir pour la vie des Églises du monde. Certains ont pris cet adjectif “pastoral” comme un prétexte pour nier au concile toute portée théologique, doctrinale, de sorte à l’affaiblir et à ne pas lui reconnaître la dignité de ceux qui l’ont précédé, qui s’étaient tous exprimé par des articles de condamnation et d’excommunication. Il s’agissait en revanche de saisir que la teneur pastorale du concile constitue un renforcement et un progrès dans la compréhension doctrinale de la vérité chrétienne, compréhension qui est toujours pastorale, c’est-à-dire en rapport avec le salut de l’homme dans l’histoire, toujours vision de Dieu dans son rapport à l’humanité. Le pape Jean XXIII, dans l’allocution d’ouverture, rappelait que “la tâche du concile est de conserver et de promouvoir la doctrine”, mais que cette tâche ne pouvait être menée à bien en renouvelant des condamnations d’erreurs. Il faillait en revanche “faire un saut en avant vers une pénétration doctrinale et une formation des consciences”, en discernant entre la substance de la doctrine et ses formulations, dans le vaste espace de la “médecine de la miséricorde”.


 

Vatican II n’a pas été un concile parénétique, mais authentiquement doctrinal dans sa sollicitude pastorale. Si l’on sait bien relire le concile, il apparaît même comme un concile “christologique” : Jésus Christ en effet a toujours été au centre du concile comme “Dei Verbum”, comme “Lumen gentium”, comme image de la vraie humanité, comme mystère pascal. Joseph Ratzinger, alors théologien au concile, le 29 septembre 1963, écrivait ainsi dans son journal, commentant le discours du pape Paul VI pour l’ouverture de la deuxième session: “Ce qui m’a le plus frappé est l’aspect décidément christologique du texte. Avec quelle emphase résonnait l’expression liturgique Te Christe solum novimus (nous ne connaissons que Toi, ô Christ), et la conclusion: Christus praesideat!, cria le pape, que le Christ préside ce concile !” Oui, un concile christologique parce que le visage du Christ a émergé sous des traits nouveaux : un Christ mieux connu à travers les saintes Écritures, un Christ ami des hommes, qui veut que tous soient sauvés, un Christ Seigneur de l’Église et présent en elle pour la modeler comme l’épouse belle, dans l’attente de son Époux.

Du reste, le pape Jean XXIII, quelques mois auparavant, le 8 décembre 1962, dans son discours de clôture de la première session, s’était ainsi exprimé : “Qu’il plaise au Seigneur que de tels fruits (du concile) soient recueillis non seulement par les enfants de l’Église catholique, mais qu’ils se répercutent aussi sur nos frères qui se plaisent à se dire chrétiens, de même que sur cette innombrable nuée d’hommes qui ne sont pas encore illuminés de la lumière chrétienne… Ils n’ont rien à craindre de la lumière de l’Évangile.”


 

Alors, la demande décisive que nous pouvons nous poser à cinquante ans de l’ouverture de cet événement ecclésial est de savoir si nous avons été capables – malgré les limites, les incertitudes, les contradictions– de nous rapprocher de l’Évangile et de rapprocher l’Évangile des hommes et des femmes d’aujourd’hui. La fidélité à l’esprit du concile nous enseigne que ce n’est que s’il est vécu et qu’on en fait le récit sous le signe de la miséricorde que le christianisme saura être éloquent ; seule une Église qui saura user de la miséricorde, qui préférera toujours la “médecine de la miséricorde” aux verges de la condamnation, qui renoncera à se cacher derrière la splendeur d’une vérité qui éblouit et blesse, seule cette Église sera capable de raconter les traits de Jésus son Seigneur et d’être ainsi écoutée par ceux qui attendent une parole d’espérance. L’assemblée conciliaire voulut se faire l’écho de l’Évangile et, si l’Évangile est toujours bien loin d’être pleinement mis en œuvre, ce qui a été allumé il y a cinquante ans comme feu dans le cœur des croyants brûle maintenant et ne semble pas prêt de s’éteindre. Vraiment, comme y exhortait le pape Jean XXIII dans un discours prononcé trois mois après l’annonce du concile, il s’agit pour nous aussi, aujourd’hui, de “dilater les espaces de la charité… avec une pensée claire et un cœur large”.

Le prieur de Bose, fr. Enzo,
avec les frères et les sœurs communauté

 

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