"O mort, où est ta victoire?"

Détrempe sur table, Maestà - Sienne
DUCCIO DI BONINSEGNA, Noli me tangere, 1310 ca.
Pâques
Tous les hommes, même s’ils ne connaissent pas Dieu, portent dans leur cœur le sens de l’éternité

 

choeur des frères et soeurs de Bose

 

«Le seul vrai péché, c’est de rester insensible à la résurrection», disait Isaac de Ninive, un père de l’Église ancienne. Pour cette raison précise, il est possible, le jour de Pâques, de mesurer la foi du chrétien et de discerner sa capacité d’espérer pour tous et de communiquer à tous les hommes cette espérance. Le jour de Pâques, tout chrétien proclame la victoire de la vie sur la mort, parce que Jésus le Messie est ressuscité de la mort afin d’être le Vivant pour toujours: celui qui, étant homme comme nous, chair comme nous sommes chair, qui est né et a vécu parmi nous, celui qui est mort de mort violente, qui a été crucifié et a été enseveli, celui-là même est ressuscité!

Ô mort, où est ta victoire? Ô mort, tu n’es plus le dernier mot pour les hommes, mais tu es devenue un passage, l’heure de l’exode de la vie terrestre à la vie éternelle, de ce monde au Royaume de Dieu…
En ce jour de Pâques, la fête des fêtes, cela devrait être le chant du chrétien, parce que le Christ est ressuscité, prémices de nous tous, parce que la vie règne définitivement et qu’en toute créature a commencé un processus secret mais réel de rédemption, de transfiguration.


 

La mort est une dominante qui pèse sur tous les hommes, une véritable puissance efficace: non seulement parce qu’elle inspire la peur et l’angoisse, contredisant la vie des hommes, mais aussi parce que, à cause d’elle, les hommes deviennent mauvais, et pèchent. Le péché est toujours égoïsme, qui contredit la communion avec les hommes et avec Dieu, et c’est précisément la présence de la mort qui déchaîne ce besoin de se sauver, voire de vivre sans les autres ou contre les autres. La mort n’est pas seulement «le salaire du péché» (Rm 6,23), elle est aussi instigation au péché… Car si les hommes sont poussés à pécher, c’est à cause de l’angoisse de la mort, de cette peur qui rend les hommes esclaves pour leur vie tout entière (cf. Hé 2,14-15). En raison de l’angoisse et de la peur, le désir de vie des hommes se fait haine, méconnaissance de l’autre, concurrence, rivalité, violence. L’angoisse peut tout défigurer, même l’amour. La mort apparaît ainsi active et présente non seulement au moment où la vie physique du corps humain s’éteint, mais aussi auparavant: elle est puissance qui réalise ses incursions dans la sphère de l’existence et porte atteinte à la plénitude des relations et de la vie.
Voilà la mort contre laquelle Jésus a lutté jusqu’à remporter la victoire. L’agonía qui a commencé pour Jésus au jardin des Oliviers (Lc 22,44) est une lutte (agón) qui s’est conclue par la descente aux enfers, lorsqu’il a défait de manière définitive le diable — et donc la mort et le péché. Et Jésus n’a pas vaincu seulement sa mort, mais la Mort: «Par la mort, il a vaincu la mort», chante la liturgie pascale! Or cette dimension de lutte est essentielle pour le chrétien: toute la vie est une lutte, une guerre contre la mort qui nous habite et contre les pulsions de mort qui nous attirent.


La résurrection de Jésus est donc le sceau apposé par le Père sur la lutte du Fils, sur son agón: celui-ci, montrant qu’il avait une raison pour mourir (donner sa vie pour les autres), a montré tout à la fois qu’il existe une raison pour vivre (aimer, demeurer dans la communion). Alors le Père l’a rappelé des morts, faisant de lui le Seigneur pour toujours.

Tous les hommes, même s’ils ne connaissent pas Dieu ni son dessein, portent dans leur cœur le sens de l’éternité, et tous se demandent: «Que pouvons-nous espérer?» Ils savent que, s’ils restent insensibles à la résurrection, ils s’interdisent de connaître «le sens du sens» de leur vie. Les hommes attendent, ils cherchent avec fatigue, et parfois par des chemins égarés, la bonne nouvelle de la vie plus forte que la mort, de l’amour plus fort que la haine et la violence. Le Christ, ressuscité et vivant pour toujours, est la vraie réponse; elle exige des chrétiens ce récit authentique que ne peut donner que celui qui a fait l’expérience du Vivant. Où sont ces chrétiens? Car oui, il y a aujourd’hui encore des chrétiens capables d’exprimer cela: il y a à nouveau des martyrs chrétiens, il y a à nouveau des prophètes chrétiens, il y a des témoins qui ne rougissent pas de l’Évangile. Une fois encore, aujourd’hui comme en ce matin de la résurrection, ce message nous parvient du tombeau vide: «Ne craignez pas, n’ayez pas peur, ne soyez pas dans l’angoisse! Le Crucifié est ressuscité et il vous précède!» Oui, pour l’Église, désormais, un printemps est proche, une saison où l’Esprit du Ressuscité se rendra plus présent que jamais, une saison où la Parole de Dieu sera moins rare.


Et cette saison n’autorisera pas de fugues, ni d’évasions, ni de spiritualismes, mais elle permettra de vivre la résurrection dans l’existence, dans l’histoire, dans l’aujourd’hui, de telle sorte que la foi pascale devienne efficace ici et maintenant déjà. Que signifie cela, selon les évangiles? Que les chrétiens doivent manifester la résurrection dans le compagnonnage avec les hommes, qu’ils doivent attester devant les hommes que la vie est plus forte que la mort, et qu’ils le feront lorsqu’ils bâtiront des communautés où l’on passe du «je» au «nous», lorsqu’ils pardonneront sans demander la réciproque, lorsqu’ils vivront la joie profonde qui demeure même dans les situations d’opposition, lorsqu’ils auront de la compassion pour toute créature, en particulier les derniers, ceux qui souffrent, lorsqu’ils réaliseront la justice qui libère des situations de mort où gisent tant d’hommes, lorsqu’ils accepteront de dépenser leur vie pour les autres, lorsqu’ils renonceront à s’affirmer eux-mêmes sans les autres ou contre eux, lorsqu’ils donneront leur vie librement et par amour, jusqu’à prier pour leurs assassins mêmes.

Parce que la cœur de la foi chrétienne se situe là précisément: croire l’incroyable, aimer le non-aimable, espérer contre toute espérance. Oui, la foi, l’espérance et l’amour ne sont possibles que si l’on croit à la résurrection. Alors, vraiment, notre dernier mot ne sera pas la mort ni l’enfer, mais la victoire sur la mort et sur l’enfer. Pâques ouvre pour tous l’horizon de la vie éternelle: que cette Pâques soit une Pâques d’espérance pour tous. Vraiment pour tous!

Tiré de ENZO BIANCHI, Donner sens au temps. Les grandes fêtes chrétiennes, Éditions Bayard, 2004.

 

 

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