L'unité dans la diversité
Réunion des fils de Dieu dispersés, anti-Babel, la fête de Pentecôte est le début des temps derniers. L’Esprit vient mettre en communion Dieu et les hommes
Selon le quatrième évangile, Jésus ressuscité, le jour même de sa résurrection, vint au milieu de ses disciples, les salua en leur transmettant sa paix, se fit reconnaître à travers les signes de la passion et de la mort imprimés dans son corps, et «souffla sur eux et leur dit: “Recevez l’Esprit Saint”» (Jn 20,22). Dans les Actes des apôtres, après que Jésus est monté au Père, tandis que les disciples sont réunis, l’Esprit Saint descend, comme un vent violent et bruyant, comme des langues de feu flamboyantes (cf. Ac 2,1-4).
Les récits de Jean et de Luc nous disent avant tout que l’Esprit même qui, envoyé par le Père, a ressuscité Jésus et lui a donné une vie nouvelle, a aussi été transmis par Jésus à ses disciples, de telle sorte que le Seigneur et sa communauté vivent d’un même Esprit. Pentecôte signifie donc la plénitude de l’épiphanie pascale, car les énergies du Ressuscité se déversent sur l’ensemble des disciples. Ces derniers parviennent, grâce à l’Esprit Saint, à la foi en Jésus Christ, Fils de Dieu, à la capacité d’en témoigner et de l’annoncer dans l’histoire et dans le compagnonnage avec les hommes.
Pentecôte, pour le peuple d’Israël, était la fête qui rappelait le don de la Loi au Sinaï, la fête de l’alliance. Pour la communauté de Jésus, le don de l’Esprit en fait la célébration de l’alliance nouvelle, définitive. Jésus n’a pas laissé son Église seule; l’Ascension au ciel ne s’était pas produite comme une séparation qui mettait fin à son action dans le monde: la communauté des croyants partage en effet avec son Seigneur la même vie, le même Esprit, et cela l’habilite à poursuivre l’action de Jésus, qui est d’annoncer la bonne nouvelle, de faire le bien, de guérir ceux que le diable tient asservis. Comme Jésus fut consacré dans l’Esprit et rendu ainsi apte à sa mission, de même en va-t-il pour l’Église à la Pentecôte (cf. Ac 10,38).
C’est pour cette raison que le quatrième évangile tient à souligner le fait que l’Esprit est donné pour que les disciples annoncent la rémission des péchés et réunissent les fils de Dieu dispersés, tandis que les Actes attestent que l’annonce du Christ ressuscité est faite à l’Église en langues diverses, comme l’Esprit donnait aux apôtres de s’exprimer. Le Saint-Esprit étant descendu à travers le miracle des langues de feu, les paroles qui annoncent le Ressuscité, la bonne nouvelle, sont comprises par les différents habitants des nombreux pays de l’aire méditerranéenne. Bernard de Clairvaux a écrit: «L’Esprit descendit sur les disciples comme langues de feu afin qu’ils disent des paroles de feu dans toutes les langues de tous les peuples et qu’ils annoncent une loi enflammée avec des langues enflammées.»
Réunion des fils de Dieu dispersés, anti-Babel, la fête de Pentecôte est le début des temps derniers, le temps de l’Église. À Babel s’était produite la confusion des langues et la tentative de réunir de façon stable le ciel et la terre par la construction d’une tour qui montait au ciel; à Pentecôte se produit le miracle des langues entendues et comprises par tous, et c’est l’Esprit qui descend pour mettre en communication, en communion, Dieu et les hommes. C’est le miracle de la compréhension retrouvée dans une unique parole! Oui, les langues des hommes restent différentes, et cette pluralité de langues, de cultures, d’histoires n’est pas gommée; mais le Saint-Esprit crée une unité articulée, plurielle: l’unique corps du Seigneur qu’est l’Église est composé de nombreux dons et de nombreux membres. La diversité doit subsister sans annuler l’unité, l’unité doit s’affirmer sans supprimer la multiplicité.
Le miracle des langues suscité par l’Esprit indique à l’Église sa tâche de concilier l’unité de la Parole de Dieu avec la multiplicité des modes selon lesquels elle doit être vécue et annoncée dans l’unique communauté des croyants et parmi tous les peuples: ainsi l’Église ne cherchera pas à s’imposer par son langage propre, mais elle s’introduira dans les langages des autres hommes pour annoncer les merveilles de Dieu selon leurs formes et leurs modalités de compréhension.
L’Esprit répandu à Pentecôte engage l’Église, aujourd’hui encore, à créer des voies et à inventer des modes qui fassent de l’altérité non pas un motif de conflit et d’inimitié, mais de communion. Ainsi l’Église, et toute communauté chrétienne, pourra être signe du Royaume universel qui viendra et auquel est appelée l’humanité tout entière à travers, et non pas malgré, les différences qui la traversent. Tout cela affine la sensibilité et l’attention que les chrétiens doivent manifester pour l’œcuménisme et le dialogue avec les autres religions. La conscience des racine juives de la foi chrétienne, de l’hébraïcité pérenne de Jésus, d’Israël comme peuple de l’alliance jamais révoquée et la conscience, tout à la fois, de la destination universelle du salut chrétien, de la multiplicité des peuples et des cultures où l’Évangile est appelé à être ensemencé, devraient faire partie du bagage de tout chrétien majeur. De même, la certitude que l’œcuménisme est un élément constitutif de la foi du baptisé devrait aussi y appartenir: le chrétien est appelé, en tant que disciple du Christ Jésus, à prier et à agir pour supprimer le scandale de la division entre chrétiens.