À la recherche de la vérité de notre être

Éthiopie, 2007
...le Carême est le temps pour retrouver sa propre vérité et sa propre authenticité...
Les fêtes chrétiennes
par ENZO BIANCHI

Recevoir les cendres signifie prendre conscience que le feu de l’amour de Dieu consume nos péchés

Mercredi 6 février 2008

MERCREDI DES CENDRES

Chaque année retourne le Carême, un temps plein de quarante jours, que les chrétiens ont à vivre tous ensemble comme un temps de conversion, de retour à Dieu. Toujours les chrétiens doivent vivre en luttant contre les idoles séduisantes, toujours le temps est favorable pour accueillir la grâce et la miséricorde du Seigneur; pourtant, l’Église — qui, avec intelligence, connaît l’incapacité de notre humanité à vivre dans une tension forte le chemin quotidien vers le Royaume — demande qu’il y ait un temps précis, qui se détache du quotidien, un temps «autre», un temps fort, durant lequel faire converger dans l’effort de conversion la majeure partie des énergies que chacun possède. Et l’Église demande que ce temps soit vécu simultanément de la part de tous les chrétiens, que tous accomplissent ainsi cet effort ensemble, en communion et en solidarité. Ce sont donc quarante jours pour retourner au Seigneur, pour répudier les idoles séduisantes mais aliénantes, pour mieux connaître la miséricorde infinie du Seigneur.

La conversion, en effet, n’est pas un événement réalisé une fois pour toutes, mais c’est un dynamisme qui doit être renouvelé dans les divers moments de l’existence, aux différents âges, et surtout quand le temps qui passe conduit le chrétien à s’adapter à la mondanité, à être gagné par la fatigue, à perdre le sens et le but de sa vocation, et à vivre ainsi sa foi dans une sorte de schizophrénie. Oui, le Carême est le temps pour retrouver sa propre vérité et sa propre authenticité, avant même d’être un temps de pénitence; ce n’est pas un temps où «faire» quelque œuvre particulière de charité ou de mortification, mais c’est un temps pour redécouvrir la vérité de son propre être. Jésus affirme que même les hypocrites jeûnent, même les hypocrites font la charité (cf. Mt 6,1-6 et 16-18): pour cette raison, précisément, il s’agit d’unifier sa vie devant Dieu et d’ordonner la fin et les moyens de la vie chrétienne, sans les confondre.


Le Carême veut réactualiser les quarante ans d’Israël au désert, en guidant le croyant à la connaissance de soi, c’est-à-dire à la connaissance de ce que le Seigneur connaît déjà du croyant lui-même: une connaissance qui n’est pas faite d’introspection psychologique, mais qui trouve sa lumière et son orientation dans la parole de Dieu. Comme le Christ, durant quarante jours au désert, a combattu et vaincu le tentateur grâce à la parole de Dieu (cf. Mt 4,1-11), de même le chrétien est appelé à écouter, à lire, à prier plus intensément et plus assidûment la parole de Dieu contenue dans les Écritures — dans la solitude comme dans la liturgie. La lutte du Christ au désert devient alors vraiment exemplaire et, luttant contre les idoles, le chrétien renonce à faire le mal qu’il est habitué à faire et commence à faire le bien qu’il ne fait pas ordinairement! Émerge ainsi la «différence chrétienne», ce qui constitue le chrétien et le rend éloquent dans le compagnonnage avec les hommes, qui le rend capable de manifester l’Évangile vécu, l’Évangile fait chair et vie.

Le mercredi des Cendres marque le début de ce temps propice du Carême. Il est caractérisé, comme le dit son nom, par l’imposition des cendres sur la tête de chaque chrétien. Aujourd’hui, ce geste n’est peut-être plus compris; mais s’il est expliqué et qu’on en pénètre le sens, il peut s’avérer plus efficace que des mots pour transmettre une vérité. La cendre, en effet, est le résultat du feu qui brûle, elle renferme le symbole de la purification, elle constitue un rappel de la condition de notre corps qui, après la mort, se décompose et devient poussière: oui, tout comme un arbre luxuriant, une fois abattu et brûlé, devient cendre, ainsi se décompose notre corps retourné à la terre; mais cette cendre est destinée à la résurrection.


Cette riche symbolique de la cendre, l’Ancien Testament la connaît déjà, tout comme la prière juive: se couvrir la tête de cendres est un signe de pénitence, de volonté de changement à travers l’épreuve, à travers le creuset, le feu purificateur. Certes, ce n’est qu’un signe, qui demande à signifier un événement spirituel authentique, vécu dans le quotidien du croyant: la conversion et la repentance d’un cœur contrit. Mais précisément en raison de sa qualité de signe, de geste, s’il est vécu avec conviction et dans l’invocation de l’Esprit, il peut s’imprimer dans le corps, dans le cœur et dans l’esprit du chrétien, en favorisant ainsi l’événement de la conversion.

Autrefois, au cours du rite de l’imposition des cendres, on rappelait au chrétien avant tout sa condition d’homme, tiré de la terre et qui retourne à la terre, selon la parole du Seigneur dite à Adam pécheur (cf. Gn 3,19). Aujourd’hui, le rite s’est enrichi de significations; les mots qui accompagnent en effet ce geste peuvent aussi être ceux de l’invitation faite par Jean-Baptiste et par Jésus lui-même au début de leur prédication: «Convertissez-vous et croyez à l’Évangile»… Oui, recevoir les cendres signifie prendre conscience que le feu de l’amour de Dieu consume nos péchés; consumés par la miséricorde de Dieu, ils sont «de peu de poids»; regarder ces cendres signifie confirmer notre foi pascale: un jour, nous serons cendre, poussière, mais destinée à la résurrection. Oui, dans notre Pâque, notre chair ressuscitera et la miséricorde de Dieu, comme un feu, consumera nos péchés dans la mort.

Vivant le mercredi des Cendres, les chrétiens ne font rien d’autre que réaffirmer leur foi dans la réconciliation avec Dieu en Christ, leur espérance d’être un jour ressuscités avec le Christ pour la vie éternelle, leur vocation à la charité qui n’aura jamais de fin. Le jour des Cendres est l’annonce de la Pâque, pour chacun de nous.

Enzo Bianchi

Tiré de: Enzo Bianchi, Donner sens au temps. Les grandes fêtes chrétiennes, Éditions Bayard, 2004