Le Seigneur fait grâce
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par ENZO BIANCHI
Jean est la lueur qui décroît face à la lumière victorieuse; il est la lampe apprêtée pour le Messie; il est son précurseur dans la naissance, dans la mission et dans la mort
24 juin 2008
NATIVITÉ DE JEAN-BAPTISTE
L’été a à peine commencé, et voici la fête de la nativité de Jean le Baptiste, une fête très ancienne, célébrée déjà par saint Augustin en Afrique. À côté de Marie, la mère du Seigneur, Jean le Précurseur est le seul saint dont l’Église célèbre non seulement la mort, le dies natalis à la vie éternelle, mais aussi le dies natalis dans ce monde: de fait, Jean-Baptiste est le seul témoin dont le Nouveau Testament rappelle la naissance, si entremêlée avec celle de Jésus. Et c’est précisément cet entrelacement de leurs vicissitudes qui a conduit à choisir la date du 24 juin pour la célébration de la mémoire du Baptiste. Car si l’Église rappelle la naissance de Jésus le 25 décembre, elle ne peut que rappeler celle de Jean le 24 juin, puisque celle-ci a eu lieu, comme en témoigne l’évangile de Luc, six mois auparavant (cf. Lc 1,26). Et le parallélisme de ces dates contient en outre une symbolique astronomique, à tout le moins dans le bassin méditerranéen, qui a été le creuset de la foi judéo-chrétienne: si le 25 décembre est la fête du soleil vainqueur, dont la déclinaison sur la terre recommence à croître, le 24 juin est le jour où le soleil commence à diminuer; or c’est précisément comme cela que s’est ordonné le rapport entre le Baptiste et Jésus, selon les paroles de Jean lui-même: «Il faut qu’il grandisse et que moi, je diminue» (Jn 3,30). Jean est la lueur qui décroît face à la lumière victorieuse; il est la lampe apprêtée pour le Messie (cf. Ps 132,17 et Jn 5,35); il est son précurseur dans la naissance, dans la mission et dans la mort; il est le maître de Jésus, le disciple qui le suit; il est l’ami de Jésus, l’époux qui vient, comme le dit justement le quatrième évangile.
On pourrait même dire que l’Évangile est l’histoire synchronique de deux prophètes, Jean et Jésus, avec leur singularité extrêmement prononcée, leur appel spécifique, mais aussi leur unanimité substantielle à poursuivre les desseins de Dieu, avec la même détermination au service du Royaume. Mais malheureusement, la figure du Baptiste n’a plus aujourd’hui la place que mérite le Précurseur dans la mémoire et dans la connaissance de l’Église: après le premier millénaire et la moitié du second — où Jean le Baptiste et Marie représentaient ensemble le lien entre l’ancienne et la nouvelle alliance et se tenaient ensemble comme intercesseurs auprès de Celui qui vient, le Seigneur de la gloire, et cela tant dans la liturgie que dans l’iconographie — la croissance du culte marial a débordé sur le Baptiste et a fini par le mettre dans l’ombre, amorçant une dérive risquée pour l’équilibre de la conscience christologique. Si l’Église, aujourd’hui encore, célèbre comme une solennité la naissance du Baptiste, c’est parce qu’elle reste consciente de la centralité révélative de ce personnage: dans les synoptiques, la bonne nouvelle de l’annonce du Royaume s’ouvre toujours avec Jean (cf. Mc 1), tout comme l’évangile de l’enfance de Jésus selon Luc (Lc 1-2) commence avec l’annonce de l’ange à Zacharie et avec le récit de la naissance prodigieuse de Jean.
Jean-Baptiste est un homme que seul Dieu pouvait donner à Israël. À l’origine de son aventure, il y a une femme stérile et âgée, Élisabeth, et il y a un père au temple, lui aussi chargé d’années: ce sont les pauvres du Seigneur, «justes devant Dieu, irréprochables à suivre les commandements et les observances du Seigneur» (Lc 1,6), le petit reste humble qui met sa confiance en Dieu, et c’est à eux, précisément, que Dieu s’adresse pour accomplir son dessein d’amour et de salut. Rien ne peut conditionner le choix de Dieu, et celui-ci ne peut pas davantage être entravé par des limites humaines, comme la vieillesse et la stérilité: l’élection n’exige que la prédisposition, l’attente, la foi. Jean naît ainsi, annoncé par un ange à son père prêtre, tandis que ce dernier célèbre au temple; il n’est qu’un embryon dans le sein de sa mère lorsqu’il reconnaît déjà, en dansant, la présence du Messie et Seigneur Jésus à peine conçu dans le sein de Marie; et c’est dans le ventre de sa mère qu’il est sanctifié par l’Esprit Saint qui descend sur elle.
Puis quand il naît, voilà que son nom fixe pour lui sa vocation et sa mission, ce nom donné par Dieu par l’intermédiaire de l’ange — Johanan, «le Seigneur fait grâce»; et voilà que son père entonne un psaume messianique comme action de grâce et comme louange à Dieu, mais où il s’adresse aussi à son fils: «Et toi, petit enfant, tu sera appelé prophète du Très-Haut, tu marcheras devant, à la face du Seigneur» (Lc 1,76). C’est ainsi qu’est venu au monde «plus qu’un prophète… le plus grand parmi ceux qui sont nés d’une femme» (Lc 7,26.28), selon la confession que Jésus fait de lui: s’il n’est certes pas la lumière venue dans le monde, il demeure toutefois «la lampe qui brûle et qui luit» (Jn 5,35) pour témoigner de la lumière.
Toute son existence se mêle à celle de Jésus; et les événements de sa vie racontés dans les évangiles ne sont pas que des préfigurations de ceux qui surviendront à Jésus: ils leur sont synchroniques, contemporains, au point de se superposer à eux et de se confondre les uns les autres. Jean et Jésus ont vécu ensemble! Et même lorsque Jean sera tué violemment, sa vie et sa mission apparaîtront en plénitude dans celles de Jésus. Ce n’est certainement pas par hasard que l’évangile enregistre l’opinion du roi Hérode concernant Jésus: «C’est Jean qui est ressuscité» (Mc 6,16), ni que les disciples rapportent à Jésus le jugement de certains contemporains qui affirmaient de lui: «C’est Jean le Baptiste» (cf. Mt 16,14).
Quand Jean mourra, il anticipera la mort de Jésus et la préfigurera comme la passion du prophète persécuté et tué dans sa propre patrie; mais tout comme, dans la mort du Baptiste, Jésus meurt, de même, dans la résurrection de Jésus, Jean le Baptiste ressuscitera lui aussi.
ENZO BIANCHI, Donner sens au temps.
