Une nuée de témoins. Message adressé aux Églises

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Les intentions de ce projet étaient: de parvenir à reconnaître les témoins de la foi les uns des autres, lorsque cela n'est pas mutuellement exclusif; de trouver des manières de commémorer les témoins de diverses traditions
Une nuée de témoins.
Message aux Églises d'un symposium au Monastère de Bose

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1. Introduction (1)

1.1 Chrétiens de différentes Églises et de divers pays, nous nous sommes rassemblés du 29 octobre au 2 novembre 2008 au Monastère de Bose (Italie) – alors qu'on y fêtait la fête de Tous les saints – autour du thème « Une nuée de témoins. Occasions de commémoration œcuménique » (2). Il s'agissait d'une initiative commune du Monastère de Bose et de la Commission Foi et Constitution du Conseil Œcuménique des Églises, qui s'inscrivait dans un processus engagé lors d'une rencontre de représentants de six différentes familles confessionnelles à Bose en mars 2004.

1.2 Les intentions de ce projet étaient: de parvenir à reconnaître les témoins de la foi les uns des autres, lorsque cela n'est pas mutuellement exclusif; de trouver des manières de commémorer les témoins de diverses traditions lors de rencontres œcuméniques; de développer ou de redécouvrir la mémoire des témoins dans les Églises qui n'ont pas cette pratique; de travailler en vue d'un martyrologe œcuménique commun (3).

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(1) Ce message a été originalement rédigé en anglais, puis traduit.
(2) Les communications présentées lors de ce colloque seront publiées conjointement par WCC Publications et les Edizioni Qiqajon du Monastère de Bose.
(3) L'appel pour une liste œcuménique de saints et de martyrs a été lancé par la Commission Foi et Constitution du COE lors de sa rencontre de Bangalore en 1978. Il provenait du travail sur « Witness Unto Death: Martyrdom as Ultimate Hope », cf. Faith and Order Commission, Minutes. Bangalore 1978, WCC, Genève 1978 (Faith and Order Paper 93), p. 42.



2. Qui sont les témoins?

2.1 Une fois de plus, nous avons commencé nos échanges en reprenant l'image biblique que nous avions choisie de la grande nuée de témoins (cf. Hébreux 12,2) et en approfondissant notre compréhension de la signification du « témoin » (martys) et de la composition de la nuée. À travers les siècles, le mot « martyr » a été compris de différentes manières. Selon la compréhension la plus commune du terme, le martyr est une personne qui a subi une mort violente en raison de sa foi – une mort acceptée librement à cause du Christ mais non recherchée comme une fin en elle-même. Au cours du XXe siècle, le terme vint à désigner également ceux qui moururent en faisant face à l'injustice à cause de l'Évangile. Nous avons réaffirmé que le sens original et plus large du mot « martyr » indique simplement quelqu'un qui, comme le Christ, témoigne de la vérité de l'Évangile jusqu'à la fin. Ceux qui peuvent être qualifiés de « héros de la foi », qui témoignèrent du Christ à travers toute leur vie, mais ne rencontrèrent pas la mort violente, appartiennent certainement à « la grande nuée », la communion des saints – qu'ils puissent être nommés ou qu'ils restent anonymes. Dans nos réflexions, nous prenons en compte ces diverses définitions.

2.2 Nous avons écouté les histoires des prophètes, des saints hommes et des saintes femmes des Écritures juives ainsi que des saints et des martyrs du Nouveau Testament, et nous nous les sommes réappropriées.

2.3 Ensemble, nous avons relu le passé dans un esprit de guérison des mémoires. Nous avons commencé par reconnaître que les événements et les personnes dont nous nous souvenons peuvent nous maintenir séparés, mais que le fait de faire mémoire ensemble nous rapproche les uns des autres. Un tel acte de mémoire peut constituer un acte de confession qui nous ouvre une voie pour nous réapproprier ensemble des témoins du passé. La repentance et le pardon pour les actes passés de violence inter-confessionnelle peuvent plus facilement se produire lorsqu'on réfléchit ensemble à ceux qui, en mourant, ont pardonné leurs persécuteurs.

2.4 Nous avons écouté les histoires de témoins du XXe siècle qui sont allés jusqu'à la mort. Elles comprenaient les récits de ceux dont la voix a été réduite au silence sous des régimes totalitaires (par ex. en Argentine, au Brésil, au Chili, en Allemagne, en Roumanie et en Russie); de ceux qui moururent en résistant contre l'impérialisme, le colonialisme et l'injustice raciale (par ex. en Corée et en Afrique du Sud); et des Arméniens victimes du génocide du début du XXe siècle. Le martyre continue d'exister dans notre propre siècle. Nous avons entendu l'histoire des Frères mélanésiens dont le témoignage de foi s'acheva par la mort en 2003. Ces histoires locales débordent toutes les frontières par la vérité et la force de leur témoignage de fidélité au Christ. Nous avons à la fois pleuré et célébré ensemble. Dans le contexte de grave persécution, la puissance du témoignage dépasse toute division terrestre. Cela nous place une fois encore à l'intérieur de la communion des saints.

2.5 Il y eut parmi nous la conviction croissante que ces témoins de la foi n’appartiennent pas uniquement à des groupes confessionnels particuliers mais qu’ils peuvent être la joie et la consolation de toutes les Églises, comme aux premiers siècles de l’ère chrétienne déjà. De même, certains héros significatifs de la foi du passé n’appartiennent plus exclusivement au groupe confessionnel dont ils sont issus mais peuvent être considérés comme l’héritage commun de l’Église une, sainte, catholique et apostolique.



3. Discerner les témoins

3.1 Afin de discerner ensemble les témoins, il faut:

* Reconnaître dans le témoin la fidélité à la foi baptismale, exprimée à travers une vie conforme à la mort et à la résurrection du Christ, ainsi que la volonté de continuer jusqu'à la fin, et jusqu'à la mort même. Le Christ que nous reconnaissons dans le témoin est le Christ qui a souffert le rejet, l'humiliation et même la mort sur une croix. La vie de ces témoins nourrit le Corps du Christ, l'Église, et la reconduit au cœur de sa vocation.
* Tous les chrétiens baptisés sont appelés à vivre dans l'Esprit et à participer ainsi à la nouvelle vie en Christ. Mais au sein de cette communion nous reconnaissons des témoins qui, en un sens particulier, deviennent « Orateurs de l'Esprit »: ouverts à l'Esprit et dans la force de l'Esprit, ils proclament l'Évangile.
* Ces témoins sont des sources d'inspiration. Leur vie est une interprétation authentique des Béatitudes.
* La sainteté n'est jamais seulement une affaire individuelle. C’est en vivant dans une communauté de foi particulière que les témoins sont formés à la condition de disciples. En affirmant ensemble leur fidélité, nous célébrons l'Église qui sera, mais qui n'est pas encore.
* Les témoins nous offrent un avant-goût du Royaume et de sa justice. Ils possèdent une espérance et une joie eschatologiques, ainsi qu'une beauté qui reflète leur amour pour Dieu. Ils indiquent pour nous la plénitude du Royaume. De cette manière, par leur vie, ils nous unissent en Christ avec le passé, le présent et l'avenir. Les témoins parlent comme membres du Corps du Christ et nous rapprochent du mystère de ce Corps.
* L'acte central de l'eucharistie est le mémorial (anamnesis) de la mort et de la résurrection du Christ dans et par la force de l'Esprit saint. Dans l'acte du mémorial, nous sommes entourés par la nuée des témoins et, avec les anges et les archanges, nous chantons: « Saint, saint, saint… » C'est la raison pour laquelle nous désirons ardemment célébrer l'eucharistie ensemble.

3.2 Une question difficile pour le discernement des témoins est celle de savoir comment nous considérons le témoignage de ceux qui se sont sentis contraints à s'engager dans des actes de violence dans leur combat pour la justice et de la paix, et qui ont, en conséquence, subi la torture et la mort.

3.3 Lorsque nous discernons les témoins du Christ, nous reconnaissons que certains d'entre eux ont souffert sans le soutien de leur communauté chrétienne ou de ses responsables. En outre, il y a ceux qui ont souffert le supplice et la mort des mains d'autres communautés chrétiennes, y compris la nôtre. Notre pèlerinage de foi exige de notre part une volonté de nous reconnaître à la fois comme persécuteurs et comme victimes – comme pécheurs et comme personnes saintes, unies au Fils de Dieu. Faire mémoire ensemble de ces témoins amène à une réconciliation des souvenirs douloureux du passé et constitue un pas en avant dans notre pèlerinage vers l'unité visible.

3.4 Ainsi les témoins nous aident dans notre pèlerinage de foi. Ils nous invitent à nous rendre là où le Christ est, en ce lieu où la violence est endurée et vaincue. De cette manière, ils nous conduisent ensemble plus profondément dans la vie du Christ crucifié et ressuscité. Lorsque nous contemplons ceux dont la vie était vouée à la paix, nous comprenons mieux notre propre appel à être constructeurs et artisans de paix. Chaque fois que nous faisons mémoire de la vie de saints hommes et de saintes femmes qui ont témoigné de la foi, nous sommes confrontés à nos propres manques et appelés dès lors à la repentance et à une conversion plus profonde au Christ et les uns vers les autres en Christ.



4. Différentes manières de commémorer

4.1 Dans la communion des saints, tous les fidèles de chaque époque et de tout lieu sont unis par l'Esprit en une communauté. Bien que nous soyons d'accord sur ce point, des différences demeurent entre nous sur la manière d'exprimer cette réalité. Ces différences comprennent des questions concernant l'intercession des saints, la canonisation, la vénération des saintes reliques et la pratique des indulgences. Au XVIe siècle, de vifs débats se sont levés autour de ces questions et ont conduit à l’endurcissement des positions confessionnelles, à la persécution et au martyre. Toutefois, il existe aujourd'hui un consensus croissant selon lequel l'accent doit être mis sur la commémoration des témoins comme source d'inspiration pour toutes les communautés ecclésiales.

4.2 En second lieu, les Églises se différencient dans leurs manières de faire mémoire des grands témoins. De nombreuses Églises le font à travers le récit d'histoires, l'instruction religieuse, les publications et l'expression artistique. Dans certaines, la commémoration des témoins constitue aussi une partie de la vie liturgique quotidienne. Certaines Églises identifient formellement des saints à travers un processus de canonisations. Certaines disposent de processus formels visant à insérer les témoins du passé dans leur calendrier. D'autres considèrent les témoins comme un héritage pour l'édification de la vie de l'Église, mais n'ont pas de processus formel reconnaissance.

4.3 Le manque de reconnaissance formelle et davantage encore l'absence d'une place déterminée dans la vie liturgique de certaines Églises les a peut-être amenées à sous-évaluer les témoins du passé. Nous avons appris que quelques unes de ces Églises commencent à estimer la commémoration des témoins. D'autres Églises ont des difficultés à faire mémoire des témoins extérieurs à leur propre tradition. Nous avons appris que ces Églises commencent à reconnaître le témoignage de figures d'autres traditions. Cela s'exprime de différentes façons: à travers des calendriers ecclésiaux, des liturgies, des livres, du matériel catéchétique, des monuments, des pèlerinages et des célébrations.


5. Commémoration œcuménique aujourd'hui

5.1 Des Églises ne font pas seulement mémoire ensemble, elles ont aussi élargi leurs commémorations de témoins pour y inclure ceux d'autres traditions. On en trouve des exemples dans les lieux de mémoire de la cathédrale protestante d'Utrecht, le martyrologe de l'Église orthodoxe roumaine et les statues de martyrs du XXe siècle au portail ouest de l'Abbaye de Westminster.

5.2 Nous avons entendu des récits encourageants de commémoration œcuménique de témoins du Christ. Parmi ceux-là, les exemples de pèlerinages communs sur des lieux où la mémoire de saints est rappelée (par ex. la cathédrale de Nidaros, où l'on fait mémoire de saint Olav de Norvège) et la commémoration œcuménique de témoins au Colisée de Rome (7 mai 2000). Ces exemples nous encouragent à continuer de rechercher d'autres modalités de commémoration commune. La réconciliation et la guérison des mémoires qui y sont impliquées sont une manière de rendre visible le degré de communion qui existe déjà.



6. Possibilités pour faire mémoire en commun à l’avenir

6.1 Les propositions suivantes pour l'avenir ont surgi de nos réflexions:

* continuer à bâtir sur ce qui se fait déjà;
* faire mémoire chaque année des témoins de différentes traditions à une occasion adaptée, comme la fête de Tous les saints, la fête de la Réformation, un jour de Carême ou de la Semaine sainte ou durant la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens;
* publier et échanger les calendriers ecclésiaux, les biographies et les martyrologes;
* identifier des témoins qui sont ou pourraient être partagés par différentes traditions;
* encourager les chrétiens, au niveau local, à s'échanger les histoires de leurs témoins;
* promouvoir d'autres rencontres comme celle qui s'est tenue à Bose sur la nuée de témoins;
* encourager le Conseil Œcuménique des Églises à inclure des témoins et leur biographie dans son Cycle œcuménique de prière;
* développer un site internet comprenant des liens avec des sites déjà existants;
* encourager la préparation d'une bibliographie annotée de matériaux essentiels;
* aider les Églises qui, en raison de leur contexte culturel et missionnaire, sont préoccupées d’éviter tout ce qui pourrait rappeler un culte des ancêtres à distinguer cela d’un honneur approprié pour les témoins des générations passées.

6.2 Nous avons réfléchi à la convergence émergeant des dialogues doctrinaux bilatéraux et multilatéraux, en particulier en ce qui concerne la compréhension de l'Église comme communion et la signification du baptême et de l'eucharistie pour la vie au sein du Corps du Christ. Cette convergence offre un fondement solide à la célébration commune des témoins de la foi de l'Église. Le temps pourrait désormais être venu de demander au dialogue multilatéral de la Commission Foi et Constitution du Conseil Œcuménique des Églises de produire un bref texte de convergence sur la communion des saints, qui rassemblerait certaines des riches intuitions des dialogues bilatéraux, approfondirait la réflexion, et considérerait dans ce contexte certains des points de désaccord demeurant. Un tel texte offrirait une base théologique et ecclésiologique pour le projet commencé à Bose en 2004.

7. Un pas vers l'unité visible de l'Église

7.1 Les frontières de la nuée continuent de s'élargir, à mesure que Dieu ajoute à notre nombre ceux qu'il appelle. Par ailleurs de nouveaux visages émergent de la nuée, selon que les différentes circonstances historiques et culturelles nous amènent à reconnaître la signification de témoins que nous ne percevions pas auparavant. Nous invitons les Églises à explorer ensemble les critères pour l'identification des témoins individuels et de groupes de martyrs de régions, d'époques ou d'événements spécifiques.

7.2 Ce travail, s'il est entrepris ensemble, peut aider à guérir les blessures du passé, lorsque nous découvrons dans les vies des témoins de la foi une détermination à refléter l'image du Christ. Redécouvrir la signification et la force de la nuée de témoins et l'exprimer en en faisant mémoire ensemble est un pas important en vue de l'unité visible de l'Église.