Habiter avec soi-même

Lecture des Pères

Toutes les fois qu'une préoccupation excessive nous jette hors de nous, nous ne sommes plus avec nous-mêmes


(Benoît) retourna au lieu de sa bien-aimée solitude, et il habita avec lui-même sous le soleil du Spectateurr d’en haut ... Toutes les fois que par une préoccupation excessive on est jeté hors de soi, nous restons nous-même sans doute, mais nous ne sommes plus avec nous, car alors on se perd de vue pour divaguer çà et là.

Dira-t-on qu'il était avec lui-même, celui qui, parti pour un pays lointain, mangea la part d'héritage qu'il avait reçue, et dut s'assujettir à quelqu'un qui l'envoya paître ses pourceaux ? Il les voyait se gaver de gousses, et lui crevait de faim. Notre homme se mit alors à penser aux biens qu'il avait perdus, et l'Écriture dit de lui :« Il rentra en lui-même et se prit à songer : Combien de journaliers, chez mon père, ont le pain à discrétion !» S'il avait été avec lui-même, comment serait-il revenu à lui ?

Je dirai donc que cet homme vénérable habita avec lui-même, parce que toujours en garde et vigilant sur lui-même, se voyant toujours sous l'oeil du Créateur, s'examinant toujours, il n'avilit point l'œil de son âme en jetant des œillades à l'extérieur.

Il y a deux façons, Pierre, de sortir de nous-mêmes. Ou bien par une chute de la pensée nous retombons au-dessous de nous, ou bien par une grâce de contemplation nous sommes élevés au-dessus de nous ... Le vénérable Benoît, dans cette solitude, habita avec lui-même en ce sens qu'il se maintint dans le cloître de sa pensée ; mais chaque fois que l'ardeur de la contemplation l'enleva vers les hauteurs, il se laissa au-dessous de lui-même, ce n'est pas douteux.

Grégoire le Grand, Dialogues II,3,5-9