Prière d'intercession

Dans la prière, nous apportons notre vie tout entière. Et nous sommes des êtres-en-relation avec les autres hommes: les autres font partie de nous, les relations avec les autres contribuent à déterminer ce que nous sommes et ce que nous devenons.

Dans la prière, nous apportons notre vie tout entière. Et nous sommes des êtres-en-relation avec les autres hommes: les autres font partie de nous, les relations avec les autres contribuent à déterminer ce que nous sommes et ce que nous devenons. Dans la prière, en nous adressant comme des fils au Dieu Père, nous recevons donc aussi la confirmation de la fraternité qui nous lie aux autres hommes. L'intercession est la prière où se manifeste avec le plus d'évidence la plénitude de notre existence comme relation avec Dieu et avec les hommes. Et l'intercession révèle aussi l'unité profonde entre la responsabilité, l'engagement historique, la charité, la justice, la solidarité, d'une part, et la prière, de l'autre. En fait, que veut dire intercéder? Étymologiquement, inter-cedere signifie «faire une démarche entre», «s'interposer» entre deux parties; cela indique ainsi une compromission active, une prise au sérieux tant de la relation avec Dieu que de celle avec les autres hommes. En particulier, c'est effectuer une démarche auprès de quelqu'un en faveur de quelqu'un d'autre. Pour paraphraser le Psaume 85,11, on pourrait dire que dans l'intercession «foi et amour se rencontrent», «foi en Dieu et amour pour l'homme s'embrassent». L'intercession ne nous entraîne pas à rappeler à Dieu les besoins des hommes, car lui «sait de quoi nous avons besoin» (cf. Matthieu 6,32), mais elle nous entraîne à nous ouvrir au besoin de l'autre, en en faisant mémoire devant Dieu, et à recevoir l'autre de la part Dieu, comme à nouveau, illuminé de la lumière de la volonté divine.

Ce double mouvement, ce cheminement entre Dieu et l'homme, qui imprime en nous la tension entre, d'une part, l'obéissance à la volonté de Dieu sur nous, sur les autres et sur l'histoire, et, d'autre part, la miséricorde pour l'homme, la compassion pour les hommes dans les situations de leur péché, de leur besoin, de leur misère, explique pourquoi l'intercession, dans la Bible, est plus que jamais la tâche du pasteur du peuple, du roi, du prêtre, du prophète, et qu'elle trouve sa représentation pleine et entière dans le Christ, «unique médiateur entre Dieu et les hommes» (1 Timothée 2,5). Oui, c'est avec le Christ, et le Christ crucifié, que trouve sa réalisation le profond désir de Job: «S'il y avait, Seigneur, entre toi et moi, un arbitre pour poser la main sur toi et sur moi, sur ton épaule et sur mon épaule» (cf. Job 9,33). Job, ici, demande un intercesseur! Si, dans l'Ancien Testament, nous trouvons l'icône de l'intercesseur en Moïse qui lève les bras au ciel, debout sur la montagne, entre Aaron et Hur qui le soutiennent, pour assurer la victoire au peuple qui combat dans la plaine (Exode 17,8-16), dans le Nouveau Testament, l'icône est celle du Christ crucifié, qui tend les bras sur la croix pour porter tous les hommes à Dieu. Le Christ crucifié pose une main sur l'épaule de Dieu et l'autre sur l'épaule de l'homme. L'intercession peut donc aller jusqu'au don de sa vie, à la substitution vicariante, à la croix! Moïse, dans son intercession pour les fils d'Israël, l'exprime bien: «S'il te plaisait de pardonner leur péché! Sinon efface-moi, de grâce, du livre que tu as écrit» (Exode 32,32). Dans l'intercession, on apprend à s'offrir à Dieu pour les autres et à vivre cette offrande concrètement, au quotidien.

L'intercession nous conduit au cœur de la vie chrétienne responsable: en pleine solidarité avec les hommes pécheurs et miséreux, étant nous aussi pécheurs et miséreux, nous faisons un pas, nous entrons dans une situation humaine, en communion avec Dieu, qui a fait en Christ le pas décisif pour le salut des hommes. Le Serviteur du Seigneur intercède pour les pécheurs en assumant leur péché, le châtiment qui leur était destiné, en portant leurs infirmités et leurs faiblesses (Isaïe 53,12). Le Christ, par l'incarnation et la mort sur la croix, a donc accompli l'intercession radicale, le pas décisif entre Dieu et l'homme, et désormais, vivant pour toujours auprès de Dieu, il continue à intercéder pour nous, comme grand prêtre miséricordieux (Hébreux 7,25). Sa main sur notre épaule fonde notre confiance et notre audace, notre parresía: «Qui donc condamnera? Le Christ Jésus, celui qui est mort, que dis-je? ressuscité, qui est à la droite de Dieu, qui intercède pour nous?» (Romains 8,34). Le don de l'Esprit nous fait participer à l'intercession du Christ: l'Esprit nous guide pour prier «selon les vues de Dieu» (cf. Romains 8,26-27), c'est-à-dire en conformant notre prière et notre vie à celles du Christ.

Ce n'est que dans l'Esprit, qui nous arrache à notre individualité fermée, que nous pouvons prier pour les autres, faire habiter les autres en nous et les porter devant Dieu, en arrivant même à prier pour nos ennemis, passage obligé pour parvenir à aimer nos ennemis (Matthieu 5,44).
Il y a une réciprocité étroite entre la prière pour l'autre et l'amour pour l'autre. On pourrait même dire que le sommet de l'intercession ne consiste pas tant en des paroles prononcées devant Dieu, mais en une vie devant Dieu dans la position du crucifié, les bras étendus, dans la fidélité à Dieu et en solidarité avec les hommes. Et parfois, pour conserver une relation avec l'autre homme, nous ne pouvons absolument rien faire d'autre que le garder dans la prière, dans l'intercession. Dès lors, il est clair que l'intercession n'est pas une fonction, un devoir, quelque chose que l'on fait, mais l'essence même d'une vie dévorée par l'amour de Dieu et des hommes. L’Église devrait se souvenir de tout cela: qu'est-elle d'autre, si ce n'est une intercession auprès de Dieu pour tous les hommes? C'est cela le service vraiment efficace qu'elle est appelée à assurer dans le monde. Un service qui, dans le monde, la situe non comme participant à une croisade, mais comme marquée par la croix!

Tiré de Enzo Bianchi, Les mots de la vie intérieure, Paris, Cerf, 2000.