Communication

Scultura lignea cm 200x170 c.a.
Et elle doit tout autant se conformer à l'image du Christ qui, sur la croix, «reconduit l'humanité sur la voie d'un Dieu qui n'est réellement Dieu qu'en étant la Communication même» (Gustave Martelet).

Les mots de la spiritualité
par Enzo Bianchi
La Parole de Dieu qui nous a été communiquée, et dans laquelle Dieu, en Christ, se donne à nous, est le commencement de la communication chrétienne

La qualité de la vie, c'est la qualité des relations, qui constituent la substance de la vie. Et la qualité des relations dépend de la qualité de la communication, à tous les niveaux où elle se produit: avec soi-même, sur le plan interpersonnel, social, politique, etc… Mais un chrétien trouve son modèle de communication, au niveau théologique, dans l'auto-communication que Dieu, en Christ, a fait de soi à l'humanité. C'est certain, le problème de la communication dans l’Église ne peut pas être réduit à la seule dimension de la mise à jour technologique et de l'exploitation des moyens disponibles, en vue d'une recherche plus efficace d'une plus grande audience. Si l'on pense que, selon la révélation biblique, l'Esprit Saint est la libre volonté de Dieu de communiquer avec les hommes et de se trouver en communion avec eux, on comprend que la communication chrétienne, pour être réellement sacramentelle, c'est-à-dire pour exprimer quelque chose de la réalité trinitaire qui donne son fondement et sa raison d'être à l’Église, et à laquelle l’Église renvoie, doit faire appel à l'action de l'Esprit et s'en laisser «in-former». Et elle doit tout autant se conformer à l'image du Christ qui, sur la croix, «reconduit l'humanité sur la voie d'un Dieu qui n'est réellement Dieu qu'en étant la Communication même» (Gustave Martelet).

Mais cette dimension révélative se greffe sur la dimension anthropologique de la communication. Une dimension qui rappelle que communiquer, c'est avant tout «donner», rendre commun, partager avec les autres ce qui est à soi, en se disposant à son tour à recevoir de l'autre. En effet, communiquer n'est pas un mouvement unidirectionnel, mais circulaire, réciproque et interactif, entre des partenaires qui s'échangent des signes et des messages dans le but d'arriver à une compréhension, à un accord. Un tel échange ne peut pas ne pas nous transformer: l'identité se modèle dans la communication. De plus, l'homme est un être communicatif: aucun de ses comportements n'échappe à cette loi! «Agir ou ne pas agir, la parole ou le silence ont toujours un caractère communicatif» (Paul Watzlawich).
Cela ne vaut évidemment pas seulement pour les individus, mais aussi pour les groupes humains et donc aussi pour l’Église. La fidélité de l’Église à l’Évangile se mesure aussi à la qualité des relations qu'elle crée en son sein, qu'elle entretient avec les autres confessions chrétiennes, qu'elle encourage avec les hommes qui ne croient pas ou qui appartiennent à d'autres religions, au type de présence qu'elle instaure dans l'histoire, aux rapports avec les autres institutions dans la cité, etc...

C'est là que l’Église connaît le risque de changer l’Évangile, la bonne nouvelle de la communication de Dieu aux hommes, en mauvaise communication: et cela se vérifie quand vient à manquer la parresía, la franchise évangélique des disciples du Christ, pour céder le pas au caractère peureux et à l'acquiescement des fonctionnaires d'un appareil ecclésiastique; quand l'autorité n'est pas exercée comme un service de la communion, mais qu'elle se dénature et devient un exercice arrogant du pouvoir; quand, à l'intérieur du compagnonnage ecclésial, on crée des enfants privilégiés et que d'autres sont mis en marge, comme s'ils étaient bâtards; quand les tons censeurs, les duplicités, les hypocrisies, les demi-vérités, créent ce climat de peur qui est le désaveu le plus direct de la liberté évangélique suscitée par l'Esprit; quand on fuit le dialogue plutôt que de le rechercher, etc... C'est vrai, ce n'est que quand la communauté chrétienne se modèle comme un authentique espace de liberté qu'elle devient aussi un espace où l'on peut se confronter, dialoguer et communiquer de manière fraternelle!
De la communication dépend la vie commune, le visage de la communauté chrétienne, et donc le témoignage fondamental de l’Église parmi les hommes. Elle est un art, non pas une technique, et un art qui exige de l'humilité: la communication, en effet, ne naît pas d'un «plus», d'un «trop», d'un «plein», mais d'un «vide», de la conscience d'un manque, d'un besoin. Communiquer signifie affirmer son besoin de l'autre, reconnaître que nous sommes redevables aux autres et dépendants d'eux pour notre vie, confesser que le don de Dieu, munus fondamental dont naît notre communication, nous précède.

La Parole de Dieu qui nous a été communiquée, et dans laquelle Dieu lui-même, en Christ, se donne à nous, est le vrai commencement de la communication chrétienne, une communication dans laquelle nous sommes déjà immergés avant même d'en prendre conscience et de nous charger de la tâche de nous en faire les répondants. Pour savoir communiquer, il faut savoir reconnaître que notre vérité fondamentale est notre pauvreté ontologique. Et en nous sachant pauvres, nous serons aussi capables de prier, c'est-à-dire de communiquer avec Dieu, de répondre au don de sa Parole, parce que nous serons capables d'écoute, d'accueil. Et sur cette pauvreté pourra aussi reposer l'édification de la communauté, de la vie en commun avec les autres: celle-ci, en effet, est toujours le fruit de notre partage de la pauvreté et des faiblesses de chacun, bien plus que la somme de la force de tous. La communauté chrétienne, alors, apparaît comme un fruit de l'Esprit, un signe de la communication de Dieu à l'homme, un sacrement du don de la Parole de Dieu, une réponse d'amour à l'amour prévenant de Dieu. Oui, le Dieu chrétien, «étant communication trinitaire en soi-même, crée la communion avec et entre les êtres humains, en leur communiquant sa vie et en demandant qu'elle soit à son tour communiquée à chacun de leurs frères et de leurs sœurs, jusqu'à impliquer la création tout entière» (Roberto Mancini).

Tiré de Enzo Bianchi, Les mots de la vie intérieure, Paris, Cerf, 2000.