Attente du Seigneur

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Les mots de la vie intérieure
par Enzo Bianchi

L'attente de la venue du Seigneur, de la part des chrétiens, devient l'invocation du salut universel, l'expression d'une foi cosmique

Au cœur de la célébration eucharistique, ces paroles rappellent au chrétien un élément essentiel de son identité de foi: l'attente de la venue du Seigneur. «Le chrétien», écrivait le cardinal Newman, «est celui qui attend le Christ.» Certes, à l'époque du «tout, tout de suite», de l'efficacité et de la productivité, où les chrétiens même apparaissent souvent marqués par l'activisme, à parler d'«attente», on risque l'impopularité et l'incompréhension totale: pour beaucoup, en effet, «attente» est synonyme de passivité et d'inertie, d'évasion et de dé-responsabilisation. Pourtant, le chrétien, qui ne se définit pas simplement par ce qu'il fait mais par sa relation au Christ, sait que le Christ qu'il aime et en qui il met sa confiance est le Christ qui est venu, qui vient dans l'aujourd'hui et qui viendra dans la gloire. Devant soi, le chrétien n'a donc pas le néant ou le vide, mais une espérance certaine, un futur orienté par la promesse du Seigneur: «Oui, je viens bientôt» (Apocalypse 22,20). Et «attendre», à partir de l'étymologie latine (ad-tendere), indique une «tension vers», une «attention tournée vers», un mouvement centrifuge de l'esprit en direction d'un autre, d'un futur. On pourrait donc dire que l'attente est une action; une action, toutefois, non limitée à l'aujourd'hui, mais qui opère dans le futur. La seconde lettre de Pierre exprime cette dimension lorsque elle affirme que les chrétiens hâtent, par leur attente, l'avènement du jour du Seigneur (2 Pierre 3,12).

La particularité chrétienne de la vision du temps, qui fait du croyant un «homme qui a une espérance» (cf. 1 Thessaloniciens 4,13), «qui attend le Christ» (Philippiens 3,20; Hébreux 9,28), qui est défini non seulement par son passé mais aussi par le futur et par ce que le Christ réalisera dans ce futur, devrait devenir un témoignage précieux (ou peut-être un contre-témoignage) pour le monde actuel, dominé par la conception d'un temps vide, qui évolue de façon uniforme, excluant toute attente essentielle et générant le fatalisme et l'incapacité d'attendre typiques de l'homme moderne. Manquer à cette dimension c'est donc non seulement réduire la portée tout entière de la foi, mais aussi priver le monde d'un témoignage d'espérance qu'il est en droit de recevoir des chrétiens (cf. 1 Pierre 3,15). Car l'homme est aussi attente: si l'on méconnaît cette dimension anthropologique essentielle, selon laquelle l'homme est aussi incomplétude, le danger de l'idolâtrie est à la porte; parce que l'idolâtrie est toujours auto-suffisance du présent. La venue du Seigneur en revanche impose au chrétien l'attente de ce qui doit venir et la patience à l'égard de ce dont il ignore quand cela adviendra. Et la patience, c'est l'art de vivre l'inachevé, de vivre sans désespérer la fragmentation du présent et le caractère partiel de ce dernier. La patience est la capacité non pas seulement de supporter le temps, de demeurer dans le temps, de persévérer, mais aussi de soutenir les autres, de les «sup-porter», c'est-à-dire de les assumer avec leurs limites et de les porter. Mais c'est l'attente du Seigneur, l'ardent désir de sa venue, qui peut modeler des hommes et des femmes capables de patience à l'égard du temps et des autres.

On voit ici que l'attente patiente est signe de force et de solidité, de stabilité et de conviction, non pas de faiblesse. Et surtout, c'est une attitude qui révèle un profond amour, pour le Seigneur et pour les hommes: «L'amour prend patience» (1 Corinthiens 13,4). Animée par l'amour, l'attente devient désir, désir de la rencontre avec le Seigneur (2 Corinthiens 5,2; Philippiens 1,23). Mieux: l'attente du Seigneur pousse le chrétien à discipliner son désir, à apprendre à désirer, à mettre une distance entre soi et les objets qu'il désire, à passer d'une attitude de consommation à une attitude de partage et de communion, à une attitude eucharistique. Pour le croyant, l'attente du Seigneur génère avant tout la reconnaissance, l'action de grâce et la dilatation du cœur qui s'unit à l'attente de la création tout entière et l'exprime: «La création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu (...), avec l'espérance d'être libérée de la servitude de la corruption» (Romains 8,19-21). C'est la création tout entière qui attend les cieux nouveaux et la terre nouvelle, qui attend la transfiguration, qui attend le Royaume. L'attente de la venue du Seigneur de la part des chrétiens devient ainsi l'invocation du salut universel, l'expression d'une foi cosmique qui souffre avec chaque homme et chaque créature. Mais si c'est là le sens de l'attente du Seigneur, si celle-ci représente une responsabilité précise pour les chrétiens, nous devons nous laisser interpeller par l'appel empreint de tristesse et de provocation que lançait en son temps Teilhard de Chardin: «Chrétiens, chargés après Israël de garder toujours vivante sur terre la flamme du désir, qu'avons-nous fait de l'attente?»

Tiré de ENZO BIANCHI, Les mots de la vie intérieure, Paris, Cerf, 2000.