Vie spirituelle

Céramique polychrome cm 300 x 160 (détail) - Villa Clerici - Milan
ANGELO BIANCINI, Annonciation

Les mots de la spiritualité
par Enzo Bianchi

Il n'existe pas de vie chrétienne sans vie spirituelle! Elle vise une expérience de Dieu, une vie en relation avec Dieu

Il est essentiel d'insister aujourd'hui sur ces vérités élémentaires. Car nous vivons une époque où la vie ecclésiale, dominée par l'anxiété pastorale, a fait sienne l'idée selon laquelle l'expérience de foi correspondrait à l'engagement dans le monde, plutôt qu'à l'accès à une relation personnelle avec Dieu vécue dans un contexte communautaire, fondée sur l'écoute de la Parole de Dieu contenue dans les Écritures, modelée par l'eucharistie et articulée en une vie de foi, d'espérance et de charité. Cette réduction de l'expérience chrétienne à une morale est la voie la plus directe pour rendre la foi absolument vaine.

La foi, au contraire, nous entraîne à faire une expérience réelle de Dieu, c'est-à-dire qu'elle nous introduit dans la vie spirituelle, qui est la vie guidée par l'Esprit Saint. Qui croit en Dieu doit aussi faire l'expérience de Dieu: il ne peut pas lui suffire d'avoir des idées justes sur Dieu. Et l'expérience, qui survient toujours par la foi et non par la vision (cf. 2 Corinthiens 5,7: «nous cheminons dans la foi, et non dans la claire vision»), est quelque chose qui nous surprend et s'impose à nous, nous conduisant à répéter avec Jacob: «Le Seigneur est en ce lieu et je ne le savais pas!» (Genèse 28,16), ou avec le psalmiste: «Derrière et devant, tu m'enserres (...). Où fuirai-je loin de ta face? Si je gravis les cieux, tu es là, qu'aux enfers je me couche, te voici» (Psaume 139,5-8).

D'autres fois, notre expérience spirituelle est marquée par le vide, par le silence de Dieu, par une aridité qui nous pousse à redire les paroles de Job: «Si je vais vers l'orient, il est absent; vers l'occident, je ne l'aperçois pas. Quand il agit au nord, je ne saisis pas, s'il se tourne au midi, je ne le vois pas» (Job 23,8-9). Pourtant, même à travers le silence du quotidien, Dieu peut nous parler. En effet, Dieu agit sur nous à travers la vie, à travers l'expérience que la vie nous fait faire, donc aussi à travers les moments de «crise», les moments de ténèbre et d'obscurité vers lesquels la vie peut nous conduire.
L'expérience spirituelle est avant tout celle d'être précédé: c'est Dieu qui nous précède, il nous cherche, nous appelle, nous prévient. Nous n'inventons pas le Dieu avec lequel nous voulons entrer en relation: il est déjà là. Et l'expérience de Dieu passe nécessairement par l'intermédiaire du Christ: «nul ne vient au Père que par moi», dit Jésus (Jean 14,6). C'est-à-dire: l'expérience spirituelle est aussi une expérience filiale. L'Esprit Saint est la lumière par laquelle Dieu nous prévient et oriente notre chemin vers la sanctification, ce chemin qui est de suivre le Fils: l'expérience spirituelle n'est alors rien d'autre que la réponse de foi, d'espérance et de charité au Dieu Père qui, dans le baptême, adresse à l'homme la parole constitutive: «Tu es mon fils!» Oui, fils dans le Fils, Jésus Christ: voilà la promesse et le chemin révélés par le baptême! Comme le disait Irénée de Lyon: l'Esprit et le Fils sont comme les deux mains avec lesquelles Dieu modèle nos existences pour en faire des vies de liberté dans l'obéissance, des événements de relation et de communion avec lui-même et avec les autres.

Certains éléments sont essentiels pour l'authenticité du cheminement spirituel. Avant tout la crise de l'image que nous avons de nous-mêmes: c'est le commencement, douloureux mais nécessaire, de la conversion; c'est le moment où se brise le «moi» non réel mais idéal que nous nous étions forgé et que nous voulions poursuivre comme la juste réalisation de nous-mêmes. Sans cette «crise», on n'accède pas à la vraie vie selon l'Esprit. Si cette mort à soi-même ne survient pas, il n'y aura pas non plus la renaissance à une vie nouvelle, qu'implique le baptême (cf. Romains 6,4). Il faut ensuite l'honnêteté envers la réalité et la fidélité à la réalité, c'est-à-dire l'adhésion à la réalité, parce que c'est dans l'histoire et dans le quotidien, avec les autres et non pas sans eux, que se produit notre connaissance de Dieu et que croît notre relation avec Dieu. C'est à ce stade que notre vie spirituelle peut faire l'harmonie entre obéissance à Dieu et fidélité à la terre, dans une vie de foi, d'espérance et de charité. C'est à ce stade que nous pouvons dire notre «oui» au Dieu qui nous appelle, avec les dons et les limites qui caractérisent notre condition de créatures. Il s'agira donc de se mettre en marche sur un chemin de foi, à la suite du Christ, pour parvenir à l'expérience de l'habitation du Christ en nous. Paul écrit aux chrétiens de Corinthe: «Examinez-vous vous-mêmes pour voir si vous êtes dans la foi. Ne reconnaissez-vous pas que Jésus Christ est en vous?» (2 Corinthiens 13,5).
La vie spirituelle se déploie dans le «cœur», dans l'intime de l'homme, là où siège la volonté et la décision, dans l'intériorité.

C'est là que l'on reconnaît avec authenticité si nous sommes chrétiens. La vie chrétienne, en effet, ce n'est pas «aller au-delà», en étant toujours à la recherche de nouveauté, mais c'est «aller en profondeur», descendre dans le cœur pour découvrir qu'il est le Saint des Saints de ce temple de Dieu qu'est notre corps! Il s'agit en effet d'«adorer le Seigneur dans le cœur» (cf. 1 Pierre 3,15). C'est en ce lieu que se produit notre sanctification, c'est-à-dire l'accueil en nous de la vie divine trinitaire: «Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui» (Jean 14,23). La finalité de la vie spirituelle est notre participation à la vie divine, c'est ce que les Pères de l’Église appelaient la «divinisation». «Dieu, en effet, s'est fait homme afin que l'homme devînt Dieu» écrit Grégoire de Nazianze; et Maxime le Confesseur synthétise de façon sublime: «La divinisation se réalise lorsque s'introduit en nous la charité divine, jusqu'au pardon des ennemis, comme le Christ en croix. Quand est-ce que tu deviens Dieu? Quand tu seras capable, comme le Christ en croix, de dire "Père, pardonne leur"; plus encore: "Père, pour eux je donne ma vie."» C'est à cela que nous entraîne la vie spirituelle, la vie fondée sur la foi en Dieu, Père créateur, animée et orientée par l'Esprit sanctificateur, rattachée au Fils rédempteur qui nous enseigne à aimer comme lui-même nous a aimés. Et c'est là que nous mesurons notre croissance à la stature de Christ.

Tiré de ENZO BIANCHI, Les mots de la vie intérieure, Paris, Cerf, 2000.