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L'Église trouve sa mission dans le service de la Parole de Dieu

2. La Parole de Dieu comme réalité

Quand nous pensons à la Parole de Dieu, en partant de notre culture de dérivation grecque, nous concevons la parole comme un événement de langage au niveau sonore, phonétique. Et nous devons faire un effort de conversion pour saisir la Parole de Dieu dans sa signification hébraïque. L'expression de l'évangile, selon laquelle « Marie méditait ces paroles dans son cœur » (Lc 2,19.51) témoigne de l'usage du terme « parole » (rhèma, en grec) selon son acception sémitique d'événement, de fait. Les paroles (davar) de Dieu ne sont en effet pas que facteur phonétique, événement de langage sonore, mais ils sont événement de langage dans l'histoire, événement qui se transforme en réalité, en faits. Lorsque l'Ancien et le Nouveau Testament disent « Parole de Dieu », ils pensent à une réalité vivante, à une énergie à l'œuvre, de manière efficace et éternelle. La Parole de Dieu est créatrice, comme le relate le premier chapitre de la Genèse: Dieu « dit » et ce qu'il dit existe, devient réalité. La puissance de la parole se déploie dans la création et dans l'histoire du salut, c'est-à-dire dans la rédemption.

Mais la révélation de la parole de Dieu dans l'Ancien Testament reçoit encore une autre accentuation. Le Psalmiste dit: « Par la parole du Seigneur les cieux ont été faits, par le souffle de sa bouche, toute leur armée » (Ps 33,6). La création moyennant la Parole (davar) est ici mise en parallèle avec la création au travers de l'Esprit (ruah). Cela s'appuie sur une observation anthropologique élémentaire: quand nous parlons, un souffle sort de notre bouche et soutient la parole: la parole et le souffle sont intimement liés; il s'agit même d'une réalité inséparable. Il n'est pas de davar sans ruah, il n'est pas de parole sans esprit. Et ceci vaut aussi au niveau théologique, pour la révélation. Voilà pourquoi le récit de la création en Genèse 1 fait apparaître simultanément la Parole et l'Esprit: dans ce récit, la création ne se fait pas seulement à travers la parole, mais aussi moyennant l'Esprit. « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. La terre était un chaos informe et les ténèbres couvraient l'abîme et la ruah de Dieu tournoyait sur les eaux » (voir Gn 1,1-2). L'Esprit de Dieu préside à la création. La Genèse le dit: l'Esprit de Dieu couvait les eaux, de sorte que les paroles que Dieu prononce pour créer sont des paroles accompagnées de l'action de l'Esprit. L'action de Dieu dans l'histoire est la parole qui se fait événement, une parole toujours accompagnée de la ruah, de l'Esprit. Or cette notion, l'Occident ne l'a pas retenue avec attention: à partir du IVe siècle, on a mis en évidence la « Parole », et bien moins la ruah, l'Esprit, qui est pourtant nécessaire à la Parole, parce que là où est la Parole, là souffle aussi l'Esprit. Selon l'Écriture, il y a un rapport d'immanence réciproque entre la Parole et l'Esprit.

À la lumière de ces observations, on peut comprendre quelque chose du mystère de la Trinité: le Fils est engendré par le Père à travers l'Esprit. Dieu prononce la Parole à travers l'Esprit, et voici que la Parole sortie du Père est le Verbe, le Lógos qui était depuis toujours auprès du Père (voir Jn 1,1 ss). Et lorsque le Lógos deviendra chair (voir Jn 1,14), ceci se produira moyennant l'Esprit saint. L'apparition dans la chair de Jésus, le Fils de Dieu, le Verbe, se fait dans la puissance de l'Esprit saint. En Dieu, donc, la Parole est bien plus qu'un événement de langage: elle est liée à l'Esprit. La Parole de Dieu est une force vivifiante qui crée, qui donne la vie même aux morts, qui « appelle à l'être ce qui n'est pas » (voir Rm 4,17), de même que l'Esprit de Dieu (Ez 37,5). La Parole de Dieu subsiste pour toujours, elle est éternelle et elle est stable comme les cieux (voir Ps 119,89; Is 40,8).

La Parole de Dieu ne coïncide donc pas avec l'Écriture ni avec la Bible. La Bible est une réalité bien limitée: c'est une réalité sacramentelle par rapport à la Parole de Dieu. Pour arriver jusqu'à nous, la Parole de Dieu a besoin du sacrement, et le Livre, la Bible, se présente à nous comme un sacrement qui contient la Parole. Lorsque nous disons « Parole de Dieu », nous devons nous référer au prologue de l'évangile de Jean, ce texte inspirant qui rassemble et synthétise la sagesse d'Israël: « Au commencement était la Parole, et la Parole était tournée vers Dieu, la Parole était Dieu » (Jn 1,1). Jean cherche à nous donner une image de la Parole comme réalité. La Parole n'est pas un son articulé de la voix, ce n'est pas une idée, mais une réalité vivante, efficace, qui est en Dieu, qui procède de Dieu, qui est Dieu. Les paroles de Dieu sont des paroles de vie (Jn 6,68), elles sont « esprit et vie » (Jn 6,63). Oui, dans la Parole se trouve la vie (voir Jn 1,4). La première lettre de Pierre présente la Parole de Dieu comme « parole vivante et éternelle » (voir 1P 1,23) et la lettre aux Hébreux la définit « vivante et efficace » (He 4,12). Toutes ces expressions sont des efforts, possibles au langage humain, pour affirmer la puissance du Dieu qui parle, qui est, qui se fait connaître, qui se livre, qui créée de l'histoire, qui établit une relation avec les hommes.

Pour nous chrétiens, cette parole de Dieu devient le « Tu » du Père, le Fils éternel constamment engendré. Lorsque nous affirmons dans le Credo qu'il a été « engendré avant tous les siècles », cela signifie qu'il a été engendré depuis toujours et qu'il est constamment engendré par le Père. Sinon notre idée impliquerait une génération de la part de Dieu non tant dans l'éternité, mais dans une préhistoire reculée. Or dans le mystère trinitaire, le Fils est constamment engendré par le Père et le Père engendre constamment le Fils. Voilà le « Tu » du Père. Le mystère de la Tri-Unité de Dieu, qui nous reste impénétrable, se révèle dans le Père qui parle, dans le Fils qui est la Parole et dans l'Esprit saint qui permet l'engendrement de la Parole: le Père est celui qui engendre, le Fils est celui qui est engendré; le Père est celui qui aime, le Fils est celui qui est aimé et le Saint-Esprit est l'amour. L'image que Jean nous donne est celle de la Parole qui se tient dans le sein du Père (Jn 1,18). Quand Dieu parle, c'est toujours une action trinitaire qui s'accomplit: Dieu parle, il nous livre le Fils à travers l'Esprit saint. Quand Dieu a créé le monde, la création déjà a été réalisée à travers le Fils.

Ces affirmations étaient claires dans les écrits de l'évangéliste Jean et chez saint Paul; puis une sorte d'aphasie chrétienne s'est produite concernant la création en Christ. Quoi qu'il en soit, Jean et Paul ont suggéré que « tout a été créé par lui »: Jn 1,3; Col 1,16), et les Pères de l'Église ont exprimé l'idée que, lorsque Dieu créait le monde, il le créait de façon téléologique en Christ, dans le Fils: lorsqu'il créait Adam, il le destinait au nouvel Adam, il préparait l'incarnation. La Parole de Dieu est le Christ, et c'est en Christ et par le Christ que « tout a été fait »: c'est lui la vie, c'est lui la lumière. Le Dieu qui a parlé jadis de maintes manières nous a parlé de façon définitive à travers le Fils (voir He 1,1-4).

Tout ceci devrait nous faire prendre conscience du fait que la Bible n'est pas un livre d'instruction, d'enseignement, mais qu'elle est un sacrement qui nous met en communication avec Dieu à travers le Christ. Nous ne sommes assurément pas habitués à comprendre les choses ainsi, mais la Bible doit être comprise comme un sacrement à travers lequel Dieu se révèle, se livre, se fait connaître à nous et nous permet de le rencontrer. Un chrétien, quand il ouvre les Écritures, devrait avoir conscience qu'en elle il rencontre le Christ et que l'Écriture même est le Corps du Christ. Ignace d'Antioche parle de l'évangile comme de la chair du Christ et la tradition patristique affirme que « les Écritures sont le Corps du Christ ». Saint François demande lui aussi à ses frères de traiter les livres de l'Écriture avec une attention extrême et de les vénérer comme le Corps même du Christ. Si nous sommes chrétiens, nous devons donc avoir ce sens de l'Écriture: il ne s'agit pas d'idolâtrie, ni de tomber dans la vision d'un christianisme « religion du Livre »; mais la rencontre avec l'Écriture est pour nous une rencontre vivante, une assiduité avec le Seigneur.

À travers l'appel à la foi, Dieu se fait connaître, se révèle, se livre, parce que ce n'est qu'ainsi que grandit l'amour pour lui. L'Écriture est une voie privilégiée pour connaître Dieu: elle a la primauté sur tout. Certes, la nature aussi nous aide à connaître Dieu, mais seulement si l'Écriture nous révèle auparavant qu'elle est création. Sans cette indication, nous finirions par chercher Dieu dans l'idolâtrie et nous risquerions de dire que le soleil est dieu, alors que l'Écriture indique simplement qu'il est un grand luminaire (voir Gn 1,16).