Jésus Christ dans la Lettre aux Philippiens


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Jésus Christ, le Serviteur-Seigneur

Le titre le plus fréquent dans la Lettre aux Philippiens pour qualifier Jésus est celui de Kýrios, « Seigneur » (il apparaît seize fois). Or ce terme grec traduisait le tétragramme juif JHWH, le Nom imprononçable de Dieu, qu'on lisait, par convention, comme Adonaï: ce titre exprime donc une insigne confession de foi dans la divinité de Jésus; et il est étonnant de constater la diffusion de cette forte foi si peu de temps déjà après sa mort et sa résurrection.
Si Jésus est le Seigneur, alors les chrétiens doivent attendre son jour, le « jour du Seigneur » précisément: le jom Adonaï annoncé par les prophètes (voir par ex. Am 5,18-20; Ml 3). Ce jour de miséricorde et de jugement, qui mettra fin à ce monde pour laisser place aux réalités éternelles, devient désormais « le jour du Christ Jésus », expression que l'on retrouve cinq fois dans le Nouveau Testament, dont trois dans la Lettre aux Philippiens (voir Ph 1,6.10; 2,16; en 1Co 1,8 et 2 Co 1,14 il est précisément question du « jour de notre Seigneur Jésus Christ »). Cette fréquence témoigne de l'horizon dont dispose la communauté chrétienne de Philippes, qui vit une attente fervente de ce jour où le Seigneur viendra dans la gloire, jour qui marquera la fin du monde et l'inauguration du Royaume.
Mais pour méditer en profondeur sur le portrait de Jésus Christ qui émerge de notre lettre, nous devons recourir en particulier à l'hymne christologique présente en Ph 2,6-11, dont bien des éléments sont développés dans des textes néo-testamentaires parallèles. La majorité des exégètes considère qu'il s'agit d'une hymne antérieure à Paul, d'un texte fruit de la foi d'une communauté chrétienne, que l'Apôtre a pris à son compte et placé au cœur de la Lettre aux Philippiens. C'est un texte qui nous surprend et nous étonne, car il offre une des confessions de foi dans le Seigneur Jésus Christ les plus hautes et les plus profondes du Nouveau Testament: c'est un véritable évangile résumé en quelques versets. Cette hymne chante en effet en synthèse tout l'itinéraire parcouru par Jésus Christ, elle résume l'événement tout entier de sa vie: la préexistence, l'incarnation, la vie terrestre, la mort en croix, l'exaltation dans la gloire.
De plus, cette hymne ne révèle pas seulement le parcours d'humanisation de Dieu, mais également le style de ce parcours, qui est tout aussi important pour les chrétiens. En d'autres mots, s'il est vrai que l'hymne fait le récit du mouvement de kenosis, d'abaissement (puis d'élévation), il faut mettre en évidence le fait que la kenosis est un terme spécifiquement chrétien et qui, en tant que tel, ne dit pas seulement une descente, mais une manière particulière par laquelle le Dieu chrétien est venu parmi nous est s'est fait homme. Jamais on n'avait affirmé de Dieu, de la divinité, qu'elle s'était vidée d'elle-même, et jamais plus on ne le redira: voilà le cœur, l'essence du christianisme, pour lequel Dieu n'est pas puissance et gloire seulement, mais dépouillement, humilité. Nous savons bien que le paganisme grec et romain comportait des mythes relatifs à l'incarnation des dieux; le pharaon également, dans toute sa puissance, était considéré fils de Dieu, incarnation sur terre du dieu Soleil-Osiris… Mais dans le christianisme, l'incarnation se donne à travers le dépouillement des attributs divins et dans l'abaissement: ici se situe la folie de Dieu aux yeux des hommes. La Parole de Dieu, le Fils, par l'incarnation, a dû se vider de soi-même, laisser sa gloire divine pour exister parmi nous, avec nous. Comme l'a écrit Adolphe Gesché: « Le Verbe a fait parenthèse (epoché) sur la forme divine pour pouvoir ek-sister, être là (Da-sein) pour nous (pro nobis). Dieu est capable de “renoncer” à sa Transcendance ».
Enfin il faut remarquer que l'hymne aux Philippiens n'opère pas une spéculation abstraite sur la nature du Christ, mais fait un récit, comme le font les évangiles, avec toutefois une différence: cette hymne ne raconte pas l'histoire suivant la ligne droite de la succession des événements, mais l'exprime en une synthèse tracée par le moyen d'une ligne descendante puis d'une ligne ascendante, deux mouvements reliés par la formule causale « c'est pourquoi » (dió: Ph 2,9). Le mouvement descendant du ciel à la terre cause celui qui remonte de la terre au ciel, l'abaissement est la raison de l'élévation. Ce schéma abaissement/exaltation, qui appartient au patrimoine de la foi pascale exprimée par l'Église naissante, comme en témoigne le discours de Pierre le jour de la Pentecôte (voir Ac 2,22-36; voir aussi Ep 4,7-10), tire indéniablement son inspiration du quatrième « chant du serviteur de JHWH » (Is 52,13-53,12). Ce texte manifeste en effet de significatifs parallélismes avec le nôtre, tant au niveau du vocabulaire (si l'on s'en tient à la version grecque des LXX) que surtout dans la dynamique de la composition: là aussi, en effet, à un grand abaissement du serviteur fait suite, en un point du texte caractérisé par une formule causale (dia taûto), un mouvement d'élévation et de glorification.
Mais avant d'analyser plus précisément cette hymne, il faut en lire une traduction:

6 Christ Jésus, étant dans la condition (litt.: en forme; en morphé) de Dieu,
n’estima pas comme une possession jalouse d'être comme Dieu,

7 mais il se vida lui-même,
prenant forme d’esclave,
devenant participant de l’humanité ;

et, trouvé en aspect comme homme,
8 il s’humilia lui-même en se faisant obéissant jusqu’à la mort,
et même à la mort de croix.

9 C’est pourquoi Dieu l’a surexalté
et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom,
10 afin que dans le Nom de Jésus
tout genou des êtres célestes, terrestres et infernaux se plie

11 et que toute langue proclame que Jésus Christ est le Seigneur
à la gloire de Dieu le Père.

L'hymne se compose de six strophes, dont chacune présente, raconte une étape du mystère du Christ Jésus: les trois premières strophes décrivent son abaissement, les trois dernières son exaltation. Cet itinéraire du Christ est relaté à travers cinq verbes, auxquels nous allons maintenant consacrer notre attention: de trois d'entre eux, le Christ lui-même est le sujet, et Dieu le Père l'est des deux autres. Il s'agit de cinq actions dans lesquelles est résumée toute l'histoire du salut, à la seule exception de l'événement final que nous attendons encore: la parousie, la venue du Seigneur Jésus dans la gloire.