Jésus Christ dans la Lettre aux Philippiens


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b) « Il se vida lui-même »
Désirant cette communion d'amour avec nous, les hommes, le Christ choisit, dans un mouvement ek-statique, de venir parmi nous: c'est l'incarnation, l'humanisation de Dieu, sa décision de devenir homme. À cette affirmation, nous sommes désormais habitués; mais il faut penser à la dimension de folie, de blasphème, qu'elle comportait non seulement pour des juifs, mais aussi pour des païens: le fait que Dieu devienne homme –c'est-à-dire, par définition, ce qu'il n'est pas, et que nous sommes –, voilà l'absurde, l'inconcevable.
Ce grand mystère peut donner le vertige à ceux qui le contemplent, s'ils en ont pleinement conscience: le Christ, celui qui était Dieu, s'est vidé de sa condition divine, et cela lui a permis de mener la vie humaine, la vie sur la terre, en homme authentique. C'est en ce sens qu'il s'agit d'entendre le deuxième verbe de l'hymne: « il se vida lui-même » (Ph 2,7). Le commencement du parcours d'incarnation est exprimé par le verbe kenòo, « vider », utilisé en référence à une réalité qui se dépouille de tout ce qui fait sa prérogative, qui abandonne tous les attributs qui la distinguent. Dans des termes plus concrets, Jésus a accepté la mort au lieu d'être immortel, il a accepté une condition limitée et sujette à la fragilité, celle de notre chair; lui qui était saint a accepté de pouvoir être tenté par le diable, séduit par le mal: « C'est le Christ qui s'est abaissé, il n'a pas été abaissé par un autre: personne, ni au ciel, ni sur terre, ni dans les abîmes, ne pouvait en effet l'abaisser », a dit Søren Kierkegaard. Ce fait est à ce point scandaleux qu'aucune voie religieuse ne peut l'admettre: penser que Dieu ait renoncé à ce qui le rend Dieu apparaît comme un blasphème; mais c'est pourtant précisément le cœur de la foi chrétienne, qui allait donc nécessairement devoir se constituer en rupture par rapport à ceux qui auraient voulu simplement une continuité avec la foi juive…
Il faut encore dire que l'histoire nous a livré, à ce propos, des formulations théologiques qui souvent nous éloignent de la vérité: durant des siècles on a pensé – et on continue parfois à le faire – que, dans la mesure où Jésus était à la fois homme et Dieu, il ne pouvait pas être pleinement homme. Ces conceptions ont fini par effacer l'humanité de Jésus, et elles nous ont empêchés de comprendre que le Christ, en se faisant homme, a renoncé à ses attributs divins. Il n'est pas facile d'exprimer cette réalité paradoxale de manière synthétique. Après bien des efforts, je suis parvenu pour ma part à une formulation qui a été reconnue légitime par ceux qui ont la tâche de veiller sur la foi de l'Église; la voici: le Fils est entré dans l'histoire comme homme, en étant pleinement homme – je le redis, contre toute possibilité de docétisme! –, en mettant entre parenthèses sa condition de Dieu. Par amour pour nous, il a suspendu sa condition divine, il a préféré la communion et le partage plein et entier avec les hommes, de manière à être totalement et réellement homme, jusqu'à devoir vivre non pas à la lumière de la vision, mais dans la foi (voir 2Co 5,7). Oui, c'est là le sommet de la foi chrétienne: Dieu a une telle nostalgie de nous qu'il partage notre condition en tout, de l'intérieur; le Fils de Dieu nous a considérés ses frères au point de vouloir être en tout l'un de nous, homme complètement.
« Prenant forme d’esclave » (Ph 2,7): l'incarnation est vue comme une descente au point le plus bas, celui de l'esclavage. Faisons attention: notre texte ne dit pas explicitement que « le Fils de Dieu s'est fait homme », ni que « la Parole s'est faite chair » (Jn 1,14) – même si l'on ne peut pas oublier que la « chair » (sarx), dans le Nouveau Testament, signifie précisément la fragilité et la mortalité de l'homme –, mais que le Christ a assumé la forme de l'esclave, et qu'en elle « il est devenu participant de l'humanité, et a été trouvé en aspect comme homme » (voir Ph 2,7). Le mot doûlos (« serviteur, esclave ») ne doit pas être entendu seulement en référence à une catégorie sociale ou économique. Bien sûr, cela y est également compris, comme Jésus l'a dit et manifesté au cours de sa vie (« Je suis au milieu de vous comme celui qui sert »: Lc 22,27), lui qui s'est présenté comme esclave, allant jusqu'à laver les pieds de ses disciples (voir Jn 13,1-20). Mais Paul, dans son langage, dans la Lettre aux Romains en particulier, désigne souvent par le terme doûlos celui qui est « esclave du péché » (doûlos tês hamartías: Rm 6,17), sujet à une puissance qui l'entraîne loin de la volonté du bien (voir Rm 7,15), de la volonté de Dieu. S'il est vrai que le péché marque l'homme de manière constitutive, il est tout aussi vrai que le Christ a accepté de devenir serviteur en ce sens, jusqu'à assumer notre péché et à être fait péché pour nous (voir 2Co 5,21)! S'il n'a pas commis le péché, il a toutefois senti sur lui la tentation et l'attraction du mal (voir He 4,15): voilà jusqu'où Jésus Christ, le Fils, a voulu aller.
Il faut reconnaître que cet amour gratuit de Dieu, dont Jésus a fait le récit, provoque en nous l'étonnement et, dans une certaine mesure, nous scandalise: il a en effet considéré notre condition d'homme esclaves du péché et, tandis que nous étions ses ennemis, il nous a aimés; alors que nous étions dans le péché, il a décidé de nous retirer du péché; alors que nous étions dans l'inimitié envers lui, il a choisi de faire régner sur nous son amour toujours prévenant (voir Rm 5,6-11).