Le chrétien dans la Lettre aux Philippiens


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e) « Nous offrons le culte selon l'Esprit de Dieu »
Si nous revenons brièvement en arrière au début du chapitre 3 de la Lettre aux Philippiens, nous y trouvons trois définitions significatives du chrétien: « C'est nous qui offrons le culte selon l'Esprit de Dieu et tirons notre gloire du Christ Jésus, au lieu de placer notre confiance dans la chair » (Ph 3,3).
« Nous offrons le culte selon l'Esprit de Dieu »: le chrétien a une manière nouvelle de rendre culte à Dieu par rapport au culte juif. Sur ce point, Jésus a amené une « rupture », une discontinuité profonde, comme il l'a lui-même déclaré à la femme samaritaine: « Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père … Mais l'heure vient, et c'est maintenant, où les véritables adorateurs adoreront le Père en Esprit et en vérité » (Jn 4,21.23), c'est-à-dire dans l'Esprit saint et dans la vérité qu'est Jésus Christ. Et si Jésus a exprimé cette réalité de manière ramassée, Paul dissémine par contre dans tous ses écrits des affirmations qui vont dans ce même sens: « Ne savez-vous pas que votre corps est un temple du Saint-Esprit, qui est en vous et que vous tenez de Dieu? » (1Co 6,19); « Examinez-vous vous-mêmes pour voir si vous êtes dans la foi. Ne reconnaissez-vous pas que Jésus Christ est en vous? » (2Co 13,5). Et Paul va jusqu'à la parole décisive, qu'il livre dans la Lettre aux Romains: « Je vous exhorte, frères, à offrir vos personnes en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu: c'est là le culte selon la Parole (loghikè latreía) que vous avez à rendre » (Rm 12,1), où il faut entendre que cette parole est Jésus Christ lui-même. En bref, offrir sa propre vie est le seul culte qui plaît réellement à Dieu: oui, désormais tout chrétien est le temple de Dieu, et c'est dans son corps, dans sa vie que doit s'accomplir le sacrifice authentique envers Dieu.
« Nous tirons notre gloire du Christ Jésus », poursuit Paul. Cette nouvelle définition du chrétien se place elle aussi en discontinuité avec le judaïsme: le Christ exclut toute fierté de notre part devant Dieu, car notre seule gloire possible se trouve en lui, au point que nous pouvons même aller jusqu'à nous vanter de sa croix (voir Ga 6,14), cet instrument de supplice infâme et exécrable. Vraiment, si nous nous considérons avec réalisme, nous n'avons en nous-mêmes aucun titre d'orgueil: tout ce dont nous pouvons nous vanter vient exclusivement du Seigneur. C'est pourquoi l'Apôtre continue sa définition en invitant les chrétiens à ne pas « placer leur confiance dans la chair ». C'est la reformulation, en termes négatifs, de ce qui vient d'être affirmé. Ici la sárx (la « chair ») n'est pas seulement la fragilité mortelle, mais désigne également l'arrogance de celui qui met sa confiance en soi, dans ses propres forces et dans ses vertus; c'est la réalité sur laquelle se repose l'homme religieux, celui qui se conforme toujours à la Loi et se vante de ses propres œuvres justes. Pour exprimer quelle profonde certitude cette annonce inouïe constitue, Paul fait, à la lumière de cette dernière, une extraordinaire anamnèse de sa propre vie. Lui en effet aurait pu mettre sa confiance dans la chair, dit-il: « Si quelqu'un d'autre croit avoir des raisons de se confier dans la chair, j'en ai bien davantage:

circoncis dès le huitième jour,
de la race d'Israël,
de la tribu de Benjamin,
Hébreu fils d'Hébreux,
quant à la Loi, un pharisien,
quant au zèle, un persécuteur de l'Église,
quant à la justice que peut donner la loi, un homme irréprochable » (Ph 3,4-6).

C'est une liste en crescendo, qui se conclut avec l'impressionnante certitude pour Paul de n'avoir jamais transgressé la Loi. Mais il continue: « Mais tous ces avantages dont j'étais pourvu, je les ai considérés comme un désavantage, à cause du Christ. Bien plus, désormais je considère tout comme désavantageux à cause de la supériorité de la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui j'ai accepté de tout perdre, je considère tout comme déchets, afin de gagner le Christ, et d'être trouvé en lui, n'ayant plus ma justice à moi, celle qui vient de la Loi, mais la justice par la foi au Christ, celle qui vient de Dieu et s'appuie sur la foi » (Ph 3,7-9). Quand Paul a compris que l'alternative l'obligeait à choisir entre accéder à la connaissance du Christ et continuer à se vanter de réalités religieuses, il a considéré que ces dernières, même sacro-saintes, représentaient une perte, un dommage… Avec sa force lapidaire, Luther commente ces versets de cette manière: « Celui qui met sa foi dans le Christ se vide de soi-même »; et il est significatif que cette affirmation paraphrase ce que l'hymne du chapitre 2 affirmait du Christ. Oui, comme le Christ s'est vidé de ses privilèges divins, de même le chrétien véritable doit se défaire des mérites et des vertus qu'il croit avoir, mais ne considérer que le Christ seul. En effet, la « sur-connaissance » du Christ vaut mieux que tous les mérites de l'homme religieux.